Il y a 140 ans, le
11 juin 1877, naissait à Londres
Renée Vivien, de son vrai nom Pauline Mary Tam.
Image, G.AdC
LA NOUVELLE LILITH
Torturée dès l'âge de vingt ans par les affres de l’existence, Renée Vivien quitte Londres pour le Paris « fin-de-siècle », où elle se mêle en « dandy » à la vie exubérante de la capitale. Nouvelle égérie de Nathalie Clifford Barney (alors la maîtresse de Liane de Pougy), Renée Vivien défraie la chronique de la capitale. Écrivains et journalistes affûtent leurs langues et distillent leurs critiques vipérines à l’encontre de ces dames. Les mœurs de « l’amazone » et de Renée Vivien font la « une » de la gazette littéraire. Au détriment du talent et de l’œuvre poétique de Renée Vivien.
Traductrice de l’œuvre de Sappho (la « Psappha de Lesbos »), Renée Vivien est une figure de proue du décadentisme dont elle renouvelle, par l’originalité de sa voix, les thèmes et l’inspiration. Incarnant à la fois la « révolte et le rêve », Renée Vivien devient l’emblème de l’émancipation de la femme. Héritière de Baudelaire, la nouvelle Lilith apparaît écartelée par la « double postulation » du « Spleen » et de « l’Idéal ». Sans cesse oscillant entre l’attraction de la lumière méditerranéenne et les vapeurs brumeuses des pays nordiques, Renée Vivien est en proie à la tentation bicéphale de la sensualité et de la spiritualité. Tentation et déchirement. Qui traversent son œuvre, depuis les recueils de poèmes ― Études et préludes (1901), Cendres et poussières (1902) ―, jusqu’au récit autobiographique ― Une femme m’apparut (1904) ― et aux poèmes en prose : Brumes de fjord (1902), Du vert au violet (1903), La Dame à la louve (1904).
Déchirée par l’impossibilité de reconstituer l’unité perdue, Renée Vivien se réfugie un moment « sous la protection humble des violettes » : Dans un coin de violettes (1909). En vain. L’impossible réconciliation entre la soif d’infini et la sensualité ne peut advenir. La quête éperdue de Renée Vivien ne trouvera sa résolution que dans l'alcool, l'anorexie, puis la mort, à l'aube du 18 novembre 1909, à l'âge de trente-deux ans.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
LA CONQUE
« Passants, je me souviens du crépuscule vert
Où glissent lentement les ombres sous-marines,
Où les algues de jade au calice entr’ouvert
Étreignent de leurs bras fluides les ruines
Des vaisseaux autrefois pesants d’ivoire et d’or.
Je me souviens du soir où la nacre s’irise,
Où dorment les anneaux, étincelants encor,
Que donnaient à la mer ses époux de Venise.
Passants, je me souviens du mystique travail
Des vivants jardins qui recèlent, virginales,
L’anémone et la mousse et la fleur du corail
Dont l’effort des remous avive les pétales,
Rose animale et rouge éclose dans la nuit.
Je me souviens d’avoir bu l’odeur de la brume
Et d’avoir contemplé le sillage qui fuit
En laissant sur les flots une neige d’écume.
Je me souviens d’avoir vu, sur l’azur changeant
Des vagues, refleurir les astres du phosphore.
Mon lit d’amour était le doux sable d’argent.
Je me souviens d’avoir frôlé le madrépore
En ses palais, d’avoir vu les lambeaux empreints
De sel, qui furent des bannières déployées,
D’avoir pleuré les yeux et les cheveux éteints
Et les membres meurtris des Amantes noyées…
J’ai connu les frissons de leur baiser amer.
Dans mon cœur chante encor la musique illusoire
De l’Océan. - Je garde en ma frêle mémoire
Le murmure et l’haleine et l’âme de la mer. »
Renée Vivien, Évocations, Alphonse Lemerre Éditeur, 1903, pp. 37-38.
Tiens, elle n'est pas du 12, mais du 11 juin... est-ce pour cela que je me reconnais bien en la "révolte et le rêve", et dans la soif qui l'anima...
Le poème est subtil, et ta documentation, Angèle, toujours attirante et fournie...
merci pour tout !
Rédigé par : Martine | 17 novembre 2011 à 13:47