Image, G.AdC
AUTOCONFIRMATION
Mouvante, plus mouvante que le destin du sable,
rouge, plus rouge que le destin de la rose,
humide, plus humide que le destin de l'eau, je suis mouvante,
rouge, humide ;
rouge, humide, je suis mouvante,
donc j'existe.
Mes veines : lacets
nouant le fagot blanc de mes os
à ma colonne vertébrale comme à un mât.
Ma colonne vertébrale est très belle,
donc j'existe.
Mes yeux: deux aquariums remplis de lait
où nagent, tournent et frétillent
deux petits poissons vifs, à la queue de velours.
Mes petits poissons vifs nagent toujours,
donc j'existe.
Ma bouche: coffret ornementé, aux deux battants clos,
où s'alignent encore, en uniforme de nacre,
trente fidèles et vaillants soldats.
Mes soldats sont debout,
donc j'existe.
Ne pas être triste.
Me souvenir [...]
Violette Krikorian, in Avis de recherche, Une anthologie de la poésie arménienne contemporaine, version bilingue, Éditions Parenthèses, Collection Diasporales, 2006, page 187. Traduction de Nounée Abrahamian et de Stéphane Juranics. Anthologie dirigée et coordonnée par Stéphane Juranics et Olivia Alloyan.

NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE *
Violette Krikorian est née à Téhéran en 1962 et écrit ses premiers poèmes en persan, à l'âge de dix ans. Depuis 1975, elle vit en Arménie où elle a suivi des études de philologie à l’Institut pédagogique d’Erevan. Elle publie ses premiers textes dans la revue
Garoun [Printemps] puis fonde deux autres revues,
Bnaguir [Texte original] (avec Vahram Mardirossian) puis
Inknaguir [Autographe], pour contrebalancer l’hégémonie de l’Union des écrivains et permettre aux nouvelles voix de la littérature contemporaine de se faire entendre.
La poésie de Violette Krikorian, imprégnée en premier lieu par les souvenirs du quartier de la banlieue de Téhéran où elle a vécu pendant son enfance (un quartier où se côtoyaient Iraniens, Arméniens, Assyriens et Turcs), mais également marquée par une manière audacieuse de nommer les choses crûment et sans censure, s’est progressivement dégagée des tabous et carcans qui la tenaient prisonnière. Violette Krikorian, explorant sans discontinuer « l’inconnu et le lointain », est parvenue peu à peu à revivifier et réinventer sa propre langue, comme en témoignent ses différents recueils :
C’est la vérité, la vérité que je dis (prix de l’Union des écrivains d’Arménie 1991),
La Ville (Prix d’État 1999).
Que cet hiver est rude (2000) est disponible en français aux Éditions du festival Est-Ouest de Die, et
Amour (Actual Art, 2006) en édition bilingue (traduction de Denis Donikian).
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* D’après la notice de l’éditeur (Éditions Parenthèses), reprise sur le site du cipM, op. cit., page 318.
Attention Krikorian ! Prenez garde !
Rappel.1937. Année plus que sombre à l’Est, comme à l’Ouest. Eghiché Tcharents, l’un des plus grands poètes révolutionnaires disparaît, liquidé parmi tant d’autres intellectuels. Des hommes ont retrouvé son corps dans un sac de farine. Lui qui avait écrit un des plus beaux poèmes à propos du doux pays d’Arménie dont je vous livre ici notre traduction :
De ma douce Arménie, j’aime la parole à saveur de soleil,
De notre lyre aux sons de deuil, j’aime la corde aux sanglots,
L’étincelant parfum de nos roses, ― pareilles au soleil,
Et des filles de Naïri, j’aime la danse pudique et gracieuse.
J’aime notre ciel obscur, les sources limpides, le lac de lumière,
L’été torride, l’auguste tempête-dragon soufflant de l’hiver,
Les murs noirs de misère de nos maisons perdues dans la nuit,
Et de nos millénaires cités antiques, ― j’aime la pierre.
Où que je sois, je n’oublierai pas nos chants, voix endeuillées,
De nos livres aux lettres forgées, je n’oublierai point la prière,
Que des épées de nos plaies exsangues percent mon cœur,
Orphelin, brûlé de sang, j’aime l’Arménie-ma-bien-aimée !
Pour mon cœur languissant, il n’y a d’autre conte de fée,
Narek, Koutchak ; point d’autre front glorieux, auréolé,
Parcours la Terre : point d’autre blanche cime que l’Ararat ―
Chemin d’inaccessible gloire, j’aime le Massis ma montagne.
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Éghiché Tcharents, (1897-1937)
Éloge de l’Arménie, 1920-1921
Bravo Anghjula d'avoir publié Krikorian. La littérature arménienne est si riche de culture.
André du Bouchet avait traduit Voyage en Arménie de Mandelstam, un livre d'exception.
Je ne dirai rien d'un certain Sayat-Nova...
Amicizia
Rédigé par : Serge Venturini | 20 mai 2007 à 12:07
Avis de Recherche est un recueil bilingue de poésie contemporaine. Même si la traduction est un risque, les Editions Parenthèses ont fait oeuvre culturelle. Je vous félicite d'avoir repris un des poèmes car il y en a de superbes même si, sans doute, la langue française les dénature. Ne lisant pas l'arménien, je n'aurais pu y avoir accès. Celui de Violette Krikorian en fait partie. Un passage d'un autre poète " Néhannouch Tékian" m'a particulièrement touché en cette année de l'Arménie en France et je vous le communique:
" Il y a des aigles pétrifiés dans les ruines et un peuple au coeur duquel il y a des tombes muettes dans l'abîme"...
Bravo pour votre site que je consulte souvent...
Amicizia
jpC
Rédigé par : Ceccaldi Jean-Paul | 25 mai 2007 à 19:28
Certains poètes n'ont pas besoin de frapper à la porte avant d'entrer, cher Jean-Paul Ceccaldi, ils sont déjà nos coeurs. Même si leurs mains sont vides, leur parole occupe toute la place. Les dieux sont avec eux.
Rédigé par : Serge Venturini | 25 mai 2007 à 20:47