Dépêche AFP - jeudi 3 mai 2007, 19h50
Le duel Royal/Sarkozy : historique pour les rapports hommes-femmes-pouvoir
Le face-à-face Nicolas Sarkozy/Ségolène Royal constitue un « événement historique » susceptible de bousculer « les relations des sexes et du pouvoir », selon des chercheuses questionnées par l'AFP.
« Quelle que soit l'issue du scrutin, cela (le débat) aura eu lieu », insiste l'historienne Michelle Perrot, auteur de Histoire des femmes, rappelant que longtemps « le pouvoir a été vu comme une affaire d'homme ».
Pour elle, « ce face-à-face d'un homme et d'une femme en compétition pour le pouvoir présidentiel est en soi un événement qui s'inscrit dans l'Histoire » et « cette situation inédite a exercé un poids important sur l'un et l'autre ».
« Nicolas Sarkozy s'est retrouvé sur la défensive. Il avait très fort à l'esprit l'image de la femme battue et n'a surtout pas voulu apparaître comme machiste et dominant. Du coup, il a rentré ses griffes, refoulé sa violence et cela l'a privé d'une partie de ses moyens, en le cantonnant dans le débat technique », poursuit l'historienne.
Quant à Ségolène Royal, elle était « de ce point de vue là plus libérée. Elle n'avait rien à perdre. Elle y est allée carrément, sans complexe », ajoute Mme Perrot.
L'historienne relève que « pour la première fois, l'inégalité » supposée en politique entre un homme et une femme « s'est retournée contre l'homme ».
Même analyse de la politologue Mariette Sineau pour qui M. Sarkozy a « bien intégré ce paramètre ». « Du coup, il a été d'une douceur inouïe et l'un et l'autre ont été à contre-emploi : Ségolène Royal a été offensive, elle avait intérêt à bousculer les choses ; Nicolas Sarkozy est resté dans la prudence, quitte à être très consensuel par moment ».
Pour sa part, la présidente de l'Observatoire de la parité Marie-Jo Zimmermann, également députée UMP, s'est étonnée de « l'agressivité » de Mme Royal, estimant qu'une « femme n'est pas obligée d'utiliser ce type de fonctionnement face à un homme ». « Cela me navre car elle donne une mauvaise image des femmes ».
Mme Perrot comme Mme Sineau ont noté que Ségolène Royal ne s'était absolument pas placée dans le registre de la séduction. « Sa beauté est évidente, elle n'avait pas besoin d'insister là-dessus. Elle voulait signifier que c'est sa compétence qui comptait. Elle a tenu à affirmer son autorité et sa capacité de femme publique ».
Les deux compétiteurs étaient « à front renversé » et Mme Royal « a essayé de déstabiliser » son adversaire « sur son incompétence », estime Mme Sineau.
Pour la politologue, la candidate PS a cherché à s'adresser durant le débat à l'électorat qui lui est le plus défavorable, « les femmes plus âgées », dont le vote s'est retrouvé majoritairement sur Nicolas Sarkozy au premier tour. « Elle s'est adressée aux femmes retraitées, aux mères au foyer et de ce point de vue là, elle a sexé son discours, ce que n'a pas fait son rival », dit-elle.
Jugeant qu'il y a quelque chose « d'irréversible dans la montée des femmes en politique », Mme Perrot note que depuis « 5 ou 6 ans », on assiste à ce phénomène. Elle se dit ainsi « sidérée de voir à quel point l'armée a changé ». « L'arrivée d'une femme (Michèle Alliot-Marie) à la tête du ministère de la Défense n'a pas posé de problème ».
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Un exemple littéraire qui tombe à point nommé sous mes yeux de lectrice. Il s'agit d'une nouvelle du Siècle des Lumières, intitulée La Femme auteur. Ecrite par Madame de Genlis "qui rappelle les multiples contraintes d'un monde où la conduite des femmes est inlassablement observée, commentée, admirée ou blâmée, redoutable tyrannie de l'opinion qui muselle les comportements autant que les sentiments..." (Martine Reid), cette nouvelle a une forte coloration autobiographique.
Dans l'extrait choisi, deux soeurs débattent sur le travestissement auquel les femmes sont soumises, si elles veulent écrire et publier leurs écrits dans le monde :
"Quel est le premier charme d'une femme, quelle est sa qualité distinctive ? La modestie. Quelle que soit la pureté de sa conduite et de ses sentiments, est-elle encore l'honneur et le modèle de son sexe, lorsqu'elle dit avec éclat à l'univers entier :
"Ecoutez-moi?"...Songez que dans un petit salon vous blâmerez la femme qui parlera trop haut, qui aura un ton tranchant, ou seulement des manières trop décidées. Vous voulez qu'une douce teinte de timidité soit, à tout âge, répandue sur sa personne entière, et modère tous ses mouvements, amortisse l'éclat de sa gaieté, réprime jusqu'à l'expression de sa sensibilité ; vous voulez qu'elle ne paraisse qu'avec l'air de craindre de se montrer, et que, lorsqu'on la regarde fixement, elle rougisse, ou du moins elle baisse les yeux. Comment concilier tout ce mystère de délicatesse et de grâce, ce charme intéressant d'une douceur enchanteresse et d'une pudeur touchante, avec des prétentions ambitieuses et l'éclatante profession d'auteur ?..."
Madame de Genlis, La Femme auteur, Editions Gallimard/folio, Collection Femmes de lettres, 2007, pp. 25-26.
Madame de Genlis a-t-elle eu l'intuition de ce que nous vivons aujourd'hui ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 mai 2007 à 12:11
J'ai sous les yeux un texte de Julia Kristeva qui apporte une excellente analyse de ces rapports du féminin et du masculin avec le pouvoir politique.
"Pour la Française d’adoption que je suis, la France est le pays qui a su mettre en valeur le génie féminin d’une manière admirable et cependant sournoise. Objets du désir des hommes (surtout !), mais aussi sujets impudents de leur désir à elles – de la paysanne sensuelle à la libertine sophistiquée –, les femmes ont été reconnues ici plus qu’ailleurs : la peinture et la littérature française en témoignent. Mieux, en France, on nous aime révoltées, de Jeanne d’Arc à Louise Michel, pour nous célébrer après nous avoir brûlées et enfermées. Plus qu’ailleurs aussi, on applaudit dans l’hexagone à nos insolences en écriture, de Mme de Sévigné à Simone de Beauvoir. Mais on préfère nous écarter du pouvoir. Les lois saliques empêchant les femmes depuis le Moyen âge de posséder la terre, les reines de France ne l’étaient qu’en épouses ou en mères du roi. Et on ne dira jamais assez combien modeste est le nombre des femmes françaises en politiques, aujourd’hui encore, comparées aux autres pays démocratiques.
D’où vient cette peur ?
Chercher… la mère. Sans entrer dans les causes économiques et politiques qui motivent cet effroi du féminin au pouvoir, la psychanalyse nous conduit à sa source inconsciente : c’est le pouvoir maternel qui fait trembler l’enfant éternel, homme et femme, devant sa génitrice-sorcière, guillotine sanglante de la castration, voire de l’engloutissement utérin dans le « sang impur » qui étrangle, que dis-je, qui « égorge nos fils et nos compagnes ». Et c’est précisément à une transvaluation de la fonction maternelle que nous confronte le surgissement de Ségolène Royal : une femme qui persiste à se poser en mère tout en visant le sommet de l’Etat. A ce point, le phénomène est inconnu ailleurs.
A y regarder de près, notre civilisation sécularisée est la seule qui manque d’un discours sur la fonction maternelle. Qu’avons-nous à proposer face à la puissante « mère juive », à l’insondable Vierge Marie, ou à cette dépendance enragée qui « rape » en « Nique ta mère » ? Sinon le consumérisme, qui excelle en « produits pour vos enfants » ? Ou le magasin des improbables « thérapies familiales » ? Ou les tribunaux pour mères infanticides et autres congélatrices d’embryons ?
A diaboliser la vocation maternelle comme si elle était une simple « régression qui tue le désir » ou « une dérive dans le compassionnel », on oublie que la vocation d’une femme à combiner la mère et l’amante, le féminin maternel et la féminité séductrice, reste une insoutenable cohabitation – source de dépression et de folie – que toutes les civilisations ont essayé d’accompagner de rites et de règles, avec des risques et des ratages que l’anthropologie et la psychanalyse n’ont pas manqué d’explorer ces dernières années. Quand la politique prétend accompagner la vie humaine mieux que les religions, que propose-t-elle aux familles, réduites trop souvent à la seule mère : seule face à la violence des « jeunes des quartiers », seule face à la toxicomanie, à l’anorexie des adolescents ? Ce que les terrorisés du maternel, ces anti-Œdipe, ses Oreste coincés, oublient de dire, c’est qu’en ce lieu menacé de la vocation maternelle s’amorce aussi la culture : au carrefour des pulsions infantiles et du sens des autres, les passions primaires se transforment en langue… maternelle. Et l’ infans devient un sujet parlant, et avec un peu de chance un acteur, sinon un décideur politique.
Une mère réussit à nous introduire à la sublimation, plus ou moins, jamais assez, quand elle est capable de métaboliser se propres désirs en besoin de croire au lien qu’elle construit entre elle-même et ce premier autre qu’est son enfant : non pas un partenaire de son désir, mais un autre, dont le désir – et le destin – sera indépendant. La maternité a été, pour l’Homo sapiens , l’aurore de l’altérité, la clé de la culture. Abritée dans le lien parental, inséparable de la fonction paternelle, la maternité est la clé de la sublimation que partage le maternel de l’homme. Elle l’est encore, avant l’utérus artificiel…
Mais pas en politique ! Car, en combattant l’image despotique de Créateur, l’humanisme sécularisé lui a emprunté les traits de l’Homme providentiel. C’est Notre Sauveur qui règne au sommet de la Pyramide républicaine. L’histoire de la métaphysique et sa politique ont relégué la vocation maternelle dans les sous-sols de la vie privée, à la cuisine ou à l’hôpital de l’humain. Privée de cette dimension sublimatoire, la politique devait immanquablement dégénérer en gestion, en économisme borné qui a pris le relais du militarisme borné, quand ils ne vont pas ensemble. La justice est le garde-fou, mais combien limité ! de ce dispositif du pouvoir…"
www.appel6mai.net/spip.php?article9
Est ainsi mis en évidence l'apport symbolique de Ségolène Royal candidate, dans sa relation difficile aux fratries électorales et médiatiques qui s'imposent en se fondant sur la méconnaissance (sinon la censure) du féminin et du maternel qu'ils n'ont cesse de réduire pour se les soumettre.
Les études de Luce Irigaray : Ce sexe qui n'en est pas un, Le spéculum de l'autre femme, L'éternelle ironie de la communauté sont aussi très éclairantes.
Amicizia
Nadine
Rédigé par : Nadine Manzagol | 04 mai 2007 à 16:20
Nadine, merci pour ce texte passionnant de Julia Kristeva. Je le fais circuler tout alentour, même si les chances de Ségolène semblent minimes maintenant.
Rédigé par : Angèle Paoli | 05 mai 2007 à 02:04
Là où d'aucuns croiront voir les signes d'un militantisme d'une autre époque, d'autres reconnaîtront le subtil parfum de la provocation intelligente....
Pour ma part, je m'interroge sur le choix du mot "duel" pour désigner... l'affrontement ? la confrontation ? entre ces 2 figures de la politique dont je me demande si elle pourrait un jour nous donner le choix d'une sémantique moins agressive....
Amitiés.
Et que la meilleure gagne ;-)
Rédigé par : Pascale | 05 mai 2007 à 09:35
Non chère Angèle , il ne faut encore pas jeter l’éponge!
Lisez cet extrait d’un article du Monde:
…
Martin k : Pensez-vous que Mme Royal a encore des chances de gagner ?
Dominique Reynié : Oui, mais avec des conditions difficiles à réunir. Premièrement, un très bon report des voix de Bayrou sur son nom. Deuxièmement, un mauvais report des voix de Le Pen sur Sarkozy (moins de 60 %). Troisièmement, le passage de l'abstention au premier tour à la participation au second d'électeurs nombreux au profit de la candidate. En 1974, on était ainsi passé de 15,7 % d'abstention au premier tour à 12,6 % au second.
…
Mira : Alors les carottes sont cuites ?
Dominique Reynié : Non, je ne peux m'empêcher d'éprouver un certain malaise en constatant que nous discutons presque déjà de l'après second tour, comme si nous étions assurés du résultat du 6 mai prochain. L'élection reste un moment énigmatique et d'une grande complexité. Si l'on connaît deux ou trois choses des logiques électorales, ce n'est pas suffisant pour affirmer connaître avec assurance le résultat du second tour.
Amicizia
Guidu ____
PS: non pas Parti Socialiste , mais Pour Ségolène!
Rédigé par : Guidu | 05 mai 2007 à 13:47
"Les carottes sont cuites"! Comme cela a été dit hier vendredi dans C dans l'air, l’expression vient de Sarkozy lui-même, s'exprimant juste après le fameux faux "débat"/"duel" de l'autre soir. Cuites pour Ségolène, bien entendu! Cette morgue et cette façon crue de dire les choses montrent quel est le vrai visage de Sarkozy, bien éloigné des rondes manières de "bon apôtre" qu'il a affichées lors du débat télévisé !
Quant au choix sémantique à caractère guerrier, il a été dicté aux journalistes par l'attitude combative de Ségolène (certains diront agressive, d'autres diront pugnace). Cf. la "Une" du Monde de vendredi : "Le débat Royal-Sarkozy a tourné au duel" (duel venant de "duellum", forme archaïque de "bellum", guerre). Mais le mot "débat" ne contient-il pas déjà sa part de violence ? [débat, venant de débattre = "battre fortement" => cf. le TLFi]
Certaines femmes ont détesté cette façon masculine que Ségolène a eue de se comporter face à son adversaire. Je vois assez bien d’où leur vient cette réaction épidermique. La hantise des suffragettes, des « viragos » de jadis, des "chiennes de garde", etc. ! Sans doute Ségolène était-elle sur la défensive ! On peut le comprendre. Mais pourquoi faudrait-il que la femme soit éternellement cantonnée dans les poncifs de la douceur, de la timidité, de la modestie ["sois belle et tais-toi"] ? Le texte de Madame de Genlis m’a paru éclairant à cet égard. Une bonne base pour aider les femmes à se dégager des clichés qui leur collent à la peau.
Rédigé par : Angèle Paoli | 05 mai 2007 à 19:31
Chère Angèle,
Tu as mis le doigt sur un des noeuds gordiens de cette campagne médiatique : l'image, "l'image qui colle à la peau" et provoque chez certains cette troublante impasse identificatoire. Etre ou ne pas être inclus(e) dans l'incarnation de la "France présidente". Etre ou ne pas être Ségolen dans cet enjeu de désir et de pouvoir dont elle a ouvert la scène ; dont elle a déployé en même temps la Cène sécularisée du "Aimez-vous les uns les autres". Contemporaine Passion du désir et du pouvoir. Oui, la logique médiatique veut l'incarnation. L'assomption élective d'une incarnation, ou, a contrario : la rage, le dépit sacrificiel de ne pas s'y re-trouver. C'est je crois la raison pour laquelle la question de la Vérité ou du mensonge (mauvaise foi) devient cruciale jusqu'à devenir symptomatique, dans le "duel", ou le débat au coeur de cette présidentielle... Nous sommes interpellés, émus (mis en mouvements) au plus vif de nos désirs ...d'avenir. C'est dire le risque du transfert que nous sommes en même temps appelés à dénouer et à sublimer !
La démocratie exige plus que jamais des sujets non assujettis : libres, égaux et fraternels ! Et ce ne sont pas que des mots, à présent, c'est une réelle émancipation qui nous est demandée. En sommes-nous capables ?
Amicizia
Nadine
Rédigé par : Nadine Manzagol | 06 mai 2007 à 06:18
C'est une déception forte qui m'envahit ce soir, chère Angèle ! Car, sur votre site qui s'intitule Terres de femmes, je n'ai envie de retenir qu'une chose : que les Français viennent de laisser passer une chance historique d'élire une femme à l'Elysée ! Sans compter le reste, malheureusement, ce qu'elle proposait, et puis ce qui nous attend maintenant !
Rédigé par : Cordesse | 06 mai 2007 à 19:45
Oui, mon cher Cordesse, je suis triste moi aussi. Mais je suis persuadée que quelque chose vient de changer. C'est trop ténu, encore, mais c'est sensible. Ségolène a acquis une belle envergure au fil des jours. Elle a été très digne ce soir, très forte. Il faut lui faire confiance. Elle va remettre le pied à l'étrier très vite et nous avec elle! Allez, haut les coeurs, Cordesse. Et restons vigilants, ensemble!
Rédigé par : Angèle Paoli | 06 mai 2007 à 22:42
Vous avez dit parité ? Quelques chiffres à méditer pour les prochaines élections législative (source : lemonde.fr ):
Il s’agit de renouveler une Assemblée nationale sortante qui ne compte pas plus de femmes qu'en 1946-1947.
Les candidats sont au nombre de 7 639 parmi lesquelles on compte 3 177 candidates, soit 41,6 %, un taux en augmentation de 2,7 points par rapport à 2002. Soixante ans pour en arriver là, pfff ! Vous aviez dit pourtant, discrimination positive ! Allez encore un effort !!!
Quant aux jeunes : l'âge moyen des candidats aux législatives est de 50,2 ans.
Les députés sortants du groupe UMP ont plus de 58 ans en moyenne, comme les socialistes, les UDF ayant 53 ans, et les "communistes et républicains" 63 ans.
Sans commentaire ! Mais quelques infos ici">http://fr.wikipedia.org/wiki/Droit_de_vote_des_femmes#En_France">ici .
Amicizia
Guidu ___
Rédigé par : Guidu | 02 juin 2007 à 01:21