Eugène Fromentin
Rue Bab el-Gharbi à Laghouat
(Une rue à El-Aghouat [titre ancien]), 1859
Huile sur toile, 142 x 103 cm,
Douai, Musée de la Chartreuse *
El-Gouëa, 24 mai au soir.
On compte par la route que nous suivons, quatorze lieues de Medeah à Boghar; à peu près deux lieues de moins que la route des prolonges. Elle est aussi directe que peut l’être un sentier d’Arabe dans un pays difficile ; c’est-à-dire qu’à moins d’escalader les montées comme on fait d’un rempart et de se laisser glisser aux descentes, il me paraît presque impossible d’abréger davantage. J’ai cru remarquer que le plus souvent nous coupions droit devant nous en pleine montagne, et je n’ai pas vu d’ailleurs que cette voie escarpée, où nous entraînait notre chef de file, fût autrement tracée que par le passage des mulets peu chargés et des chevaux prudents.
Tout ce pâté de montagnes, que nous avons mis cinq heures à traverser, présente un système irrégulier de mamelons coniques profondément découpés et séparés par d’étroits ravins, creusés en forme d’entonnoirs, il y a des eaux courantes et de jolies fontaines, avec des lauriers-roses en abondance. Les pentes sont entièrement couvertes de broussailles, et les sommets se couronnent avec gravité de chênes verts, de chênes-lièges et d’arbres résineux. De loin en loin, de petites fumées odorantes, qu’on voit filer paisiblement au-dessus des bois, et de rares carrés d’orges vertes indiquent, dans ce lieu solitaire, la présence de quelques agriculteurs arabes. Cependant, on n’aperçoit ni le propriétaire du champ ni les cabanes d’où sortent ces fumées ; on ne rencontre personne, on n’entend pas même un aboiement de chien. L’Arabe n’aime pas à montrer sa demeure, pas plus qu’il n’aime à dire son nom, à parler de ses affaires, à raconter le but de ses voyages. Toute curiosité dont il peut être l’objet lui est importune. Aussi établit-il sa maison aux endroits les moins apparents, à peu près comme on ferait d’une embuscade, de manière à n’être point vu, mais à tout observer […]
Nous avancions en silence et gravissions péniblement, pendus aux crins de nos chevaux, de longs escarpements dont chacun nous coûtait une heure à franchir. Nous faisions lever des engoulevents, des tourterelles de bois, quelques volées plus rares de perdrix grises ; par moments, le cri sonore d’un merle éclatait tout près de nous, et l’on voyait le petit oiseau noir fuir au-dessus des fourrés. Il faisait chaud ; l’air était orageux ; le ciel, semé de nuages, avec des trouées d’un bleu sombre, promenait des ombres immenses sur l’étendue de ce beau pays, tout coloré d’un vert sérieux. C’était paisible et je ne puis dire à quel point cela me parut grand. À chaque sommet que nous atteignions, je me retournais pour voir monter, à l’horizon opposé, les pics bleuâtres de la Mouzaïa.
Eugène Fromentin, Un été dans le Sahara, in Œuvres complètes, Éditions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1984, pp. 19-20.
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* Note d’A.P. : j’ai eu l’occasion de voir, en 2003, à l’Institut du Monde Arabe, l’exposition intitulée de Delacroix à Renoir, l’Algérie des peintres [7 octobre 2003-18 janvier 2004], où était présente cette toile de Fromentin. En regard du texte de Fromentin ci-dessus, cet extrait de l’historique du tableau :
« …En octobre 1852, Fromentin avait reçu du ministère de l’Intérieur, au terme d’une démarche soutenue par ses amis Armand Du Mesnil et Théodore Chassériau, la commande d’un « paysage d’Afrique rappelant, autant que possible, un fait d’armes du général Daumas ou du général Canrobert. […] Il devait en résulter un tableau, étrangement perdu aujourd’hui, représentant « une halte de voyageurs à l’entrée au [sic] du désert de Sahara ». Sans évoquer précisément quelque « fait » d’armes notoire, Fromentin suggérait par cette pièce, qu’on imagine paisible, le contrôle des portes du grand Sud par les Français. À dire vrai, Laghouat où il avait vécu un mois, restait bien présent dans son esprit. Dès qu’il eut livré ce tableau, il saisit l’administration d’une nouvelle demande, lui faisant savoir, le 14 avril 1857, qu’il désirait à nouveau peindre « L’Algérie du Sud. C’est un pays que, dans la mesure de mes forces, je me propose de faire connaître soit comme écrivain, soit comme peintre… » La requête fut agréée et le tableau, celui de Douai, exposé avec grand succès au Salon de 1859. »
[…] Un « tableau où le vide et le silence résonnent, quand on veut bien y prêter l’oreille, de la fureur meurtrière qui s’est abattue sur les habitants fin 1852, bain de sang dont les rapaces et les cadavres de pastèques sont le seul aveu. »
Catalogue de l’exposition De Delacroix à Renoir, l’Algérie des peintres, Institut du Monde Arabe, Éditions Hazan, 2003, page 186 et page 178.
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Bonjour amie, c'est par hasard en faisant des recherches autour de Fromentin, né dans ma ville, que j'ai trouvé tes références.
Merci à toi. Belle et bonne soirée
Amicalement
Josyane
Rédigé par : Josyane DJB | 27 septembre 2010 à 19:44
Merci de ton passage, chère Josyane, cela me fait vraiment plaisir.
Je suis venue une seule fois à La Rochelle. Yves et moi avions été invités par le Conservateur du Musée des Deux-Mondes. J'ai été séduite par cette ville ouverte sur l'Océan, par son passé, son histoire. Et son architecture.
Quant à Fromentin, je le lis régulièrement, notamment Les Maîtres d'autrefois.
Rédigé par : Angèle Paoli | 29 septembre 2010 à 12:59