Le
22 mai 1733 naît à Paris
Hubert Robert.
Hubert Robert (1733-1808)
L'Escalier tournant du palais Farnèse à Caprarola, v. 1764
Huile sur toile, 24 cm x 33 cm
Paris, musée du Louvre
Source
Peintre védutiste, amateur des ruines, Hubert Robert fait ses débuts de dessinateur auprès de Michel-Ange Slodtz. En 1754, Hubert Robert, qui fait partie de la suite du comte de Stainville, ambassadeur de France et futur duc de Choiseul, effectue un premier voyage à Rome et s’installe à la Villa Médicis. Il se lie d’amitié avec Fragonard et avec l’abbé de Saint–Non en compagnie duquel le jeune artiste arpente la péninsule. De retour à Rome, le peintre s’installe à la Villa d’Este dont les jardins et les fantaisies lui inspirent de nombreuses sanguines. Parmi les toiles les plus connues de cette époque figurent la Cascade de la villa Conti à Frascati et L’Escalier tournant du palais Farnèse à Caprarola (vers 1764). Hubert Robert triomphe à Paris au Salon de 1767. Il est reçu à l’Académie avec La Vue du port de Ripetta à Rome, toile réalisée en 1766. Installé à Paris, il peint des scènes de la vie parisienne - L’Incendie de l’Opéra en 1781 (Musée Carnavalet, Paris), Démolition du pont Notre-Dame et du Pont-au-Change (1786-1788, Musée Carnavalet) - sans pour autant se détourner de sa passion première, l’Antiquité. Il s’attelle alors à des peintures d’après les monuments antiques de France - Pont du Gard, l’Intérieur du temple de Diane à Nîmes, la Maison carrée…
Nommé garde des tableaux du Muséum royal (1784), Hubert Robert est chargé d’examiner l’éclairage de la Grande Galerie du Louvre dont il exécute deux grandes vues, en projet et en ruines. Ces deux Vues de la Grande Galerie du Louvre seront exposées au Salon de 1796.
L’ESCALIER TOURNANT DU PALAIS FARNÈSE DE CAPRAROLA
Exécutée par le peintre vers 1764, la toile L'Escalier tournant du Palais Farnèse de Caprarola a été inspirée à Hubert Robert par l’escalier hélicoïdal (scala regia) de l’architecte Giacomo Barozzi, surnommé Le Vignole (1507-1573). Réalisée en 1559 pour le compte des Farnèse (la Villa Farnèse de Caprarola, près de Viterbe), cette œuvre magistrale est considérée comme un chef-d’œuvre de la Renaissance.
Gigantesque colimaçon, cet escalier s’élève vers une vaste construction circulaire, elle-même surmontée d’une coupole à caissons. L’ensemble monumental, constitué de corniches, d’arcades, de niches et de statues, rappelle l’architecture fastueuse de l’Antiquité : le mausolée d’Auguste Agrippa, par exemple, ou la basilique de Maxence, sur le Forum de César à Rome. Tel est l’esprit de la Renaissance, tout imprégné du passé glorieux de la Rome impériale. Et celui d’Hubert Robert, également fasciné par la Rome antique et par l’ouvrage du Vignole.
Traversant les époques et l’histoire, la peinture d’Hubert Robert s’inscrit aussi dans son propre temps. Du Siècle des Lumières, l’artiste semble retenir la dimension théâtrale du monde et la hiérarchie des classes. Animé d’une vie mystérieuse, l’escalier monumental est en effet peuplé de personnages familiers, les uns groupés tout en haut le long de la rampe et protégés par la gestuelle auguste des statues, les autres plus dispersés, répartis le long de la rampe ou dans la montée de l’escalier.
Arrivée à ce point de mes observations, je me demande à quelle part de mon imagination renvoie cet escalier hélicoïdal ? Sans doute viennent se superposer, en arrière-plan, les multiples déclinaisons de La Tour de Babel de Bruegel, notamment, et Le Cabinet du philosophe de Rembrandt. Ces deux métaphores picturales antithétiques me fascinent également. De même que celle de Hubert Robert. Que cache la toile du célèbre paysagiste ? Sur quelles inversions ou écarts repose-t-elle ?
Dégagé de l’apparat farnésien originel, rendu à la nudité antique de la pierre, l’escalier monumental rappelle aux vivants qui fréquentent cet espace, que la puissance et la gloire sont valeurs éphémères. En témoignent les hommes illustres, illusoirement immortalisés par les statues qui ornent les niches. Dans le même temps la vie continue. Et son théâtre d’ombres. Les nobles s’affichent au balcon. Peu attentifs à ce qui se joue - autour d’eux et dans la fosse -, ils sont eux-mêmes au centre de leur propre spectacle. Sur la droite, en contrebas, séparé des nobles par un escalier, un autre groupe, dans sa loge sous une arche. Qui sont-ces gens ? Des musiciens peut-être ? Quel spectacle, qui ne nous est pas montré, se déroule dans la fosse ? Spectacle souligné explicitement par la présence de deux curieux qui se penchent au-dessus de la rampe. Ces deux personnages, absorbés par la « partie » invisible qui se déroule dans la cage de l’escalier, tournent le dos aux spectateurs que nous sommes. Deux autres personnages, situés au même niveau de regard que le nôtre, attirent l’attention: une femme du peuple, appuyée à la rampe et tirant son enfant derrière elle, entreprend la pénible montée de l’escalier. Pourquoi ? Où veut-elle aller ? Que cherche-t-elle ? Une autre femme, issue du peuple elle aussi, portant un enfant dans ses bras, descend les marches d’un pas énergique et assuré. Qu’a-t-elle vu ? Qu’a-t-elle compris de ce qu’elle a vu ? Mouvement ascendant, mouvement descendant. Lequel choisir ? La spirale, figure parfaite du baroque, invite le spectateur à s’interroger sur les multiples contradictions suggérées par le peintre qui démultiplie à loisir lignes de fuite, espaces et regards. Celui de l’architecte Vignole qui met en scène pour les tout puissants Farnèse les figures tutélaires de l’Antiquité. Celui d’Hubert Robert qui met en scène, dans un espace clos sur ses involutions, la société de son temps. Notre regard, enfin, qui se saisit jusqu’au vertige de cette mise en abyme savante.
Quelle leçon tirer de cette vaste mise en scène et de ce microcosme ? Peut-être faut-il voir derrière l’aspect grandiose de cet escalier hélicoïdal, le modèle réduit (imago mundi) d’un cosmos originel ? Avec, pour extrémités, son point zénithal et son enfer chthonien. C’est dans le vide nocturne de la fosse que se joue le spectacle invisible et s’affrontent en des luttes mortelles les forces primitives. L’insouciante élégance de l’éther pour les uns. Pour les autres, l’éternel tohu-bohu ?
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Merci pour ce bel article chère Angèle. Je trouve que l’ illustration que vous nous proposez même si elle est certainement fidèle (si tant est qu’une reproduction photographique puisse être fidèle au tableau qu’elle représente, je n'ai pas eu l’occasion de voir l’original ) est moins saisissante que celle-ci">http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e5/Hubert_Robert_003.jpg/800px-Hubert_Robert_003.jpg">celle-ci .
Vous me donnez l’occasion d’évoquer ce Jacopo Barozzi detto il Vignola (vous l’appelez Giacomo) dont on peut penser qu’il serait l’Architecte des jardins du Comte d'Orsini à Bomarzo orné de bien étranges sculptures grotesques . Ce blog en donne une intéressante description qui devrait vous séduire.
Amicizia
Guidu ___
Rédigé par : Guidu | 24 mai 2007 à 02:37
Cher Guidu,
Le long travail que j’ai effectué sur le sujet des jardins Bomarzo (qu'Angèle a d'ailleurs visités à plusieurs reprises) me conduit à penser que ces jardins n’ont pas été dessinés par l'architecte du Gesù, Giacomo (Jacopo) Barozzi [les deux prénoms s’emploient indifféremment] - contrairement à ce qu'a pu imaginer Mandiargues - mais par Pirro Ligorio, l'auteur du Livre des Antiquités romaines. Seul le petit temple de ces jardins semble avoir été réalisé par Le Vignole. Voici d’ailleurs l’article que j’avais rédigé pour Encarta France à l’époque où j’en assurais la direction éditoriale (donc quelques années avant la rédaction de l'article de ce blog, qui appelle à tort l'écrivain Manuel Mujicà Lainez, Manuel Mujica Ginastera : Bomarzo ayant été publié en 1962 et non pas en 1967, date de la création de l'opéra de Ginastera). Article d'Encarta qui en a donc "inspiré" plus d'un, même s'il a parfois été lu trop vite.
PS La reproduction choisie pour Hubert Robert est la version de l'agence photographique de la rmn (Réunion des musées nationaux), détentrice officielle des droits d'utilisation. Agence qui s'attache à ne pas retoucher les photos.
Bomarzo, jardin
1 PRÉSENTATION
Bomarzo, jardin, parc maniériste de la Renaissance à parcours labyrinthique, situé entre Rome et Orvieto (Italie).
Comprenant un ensemble de sculptures monumentales de figures mythologiques ou fantastiques, le jardin Bomarzo a été comparé par l’écrivain Alberto Moravia à un « Luna Park de pierres ».
2 LE JARDIN DES MERVEILLES
Le parc de Bomarzo (altération du latin Polimartium) est situé dans la commune du même nom, entre Rome et Orvieto, près du lac de Bolsena, en Étrurie, dans la région du Latium. Au sommet de la petite ville s’élève le palais renaissant des princes Orsini, bâti sur l’emplacement d’un ancien château fort et transformé en villa par Pierre-François (Pier Francesco) Orsini, dit Vicino Orsini (1528-1574), duc de Bomarzo, condottiere au service des États pontificaux.
Le jardin du palais, en contrebas du vallon, évoque à maints égards certains épisodes d’œuvres baroques apparentées au Songe de Poliphile de Francesco Colonna, au Floridante de Bernardo Tasso ou au Roland furieux de l’Arioste, comme le suggèrent les inscriptions initiatiques gravées dans la pierre qui jalonnent le parcours dès l’entrée : « Voi che pel mondo gite erando vaghi / Di veder maraviglie alte e stupende / Venite qua, dove son faccie horrende / Elefanti leoni orsi orchi et draghi : Vous qui allez errants par le monde / Pour contempler de hautes et stupéfiantes merveilles, / Venez ici ! Vous y trouverez des faces terribles / Éléphants, lions, ours, orques et dragons ». « Jardin merveilleux ,» le jardin a été conçu comme une ode à l’état naturel, dédiée par Vicino Orsini à la mémoire de Giulia Farnèse, sa jeune épouse défunte, fille d’Angelo Farnèse et donc nièce d’une autre Giulia Farnèse, sœur du cardinal Alexandre Farnèse (le futur pape Paul III) et maîtresse du pape Alexandre VI Borgia.
Le jardin a probablement été dessiné vers 1552 par Pirro Ligorio (v. 1513-1583), l’architecte de la basilique Saint-Pierre (au lendemain de la mort de Michel-Ange), mais aussi le concepteur des jardins de la Villa d’Este à Tivoli et l’entrepreneur des fouilles archéologiques de la Villa d’Hadrien.
3 LES MONSTRES DE PIERRE
Le jardin Bomarzo (appelé autrefois Bosco sacro, Bois sacré, ou Bosco dei Mostri, Bois des Monstres, au sens de mostrare, démontrer) accueille dans un sous-bois de grandes figures de pierre, taillées directement dans la roche ou sculptées dans le péperin (tuf volcanique du Latium), figures mythologiques, fantastiques ou simplement suggestives, ou grotesques à la manière antique.
En raison de leurs expressions mystérieuses (évoquant parfois l’art hindou ou khmer), ces sculptures sont couramment appelées « monstres de Bomarzo .» Elles sont pour la plupart directement sculptées dans la roche et de facture assez grossière. Si leurs auteurs restent inconnus, certains historiens d’art ont toutefois cru reconnaître en elles la facture du sculpteur maniériste Bartolomeo Ammannati, élève de Michel-Ange. Outre des représentations récurrentes de Janus bifrons ou d’Hécate à trois têtes, on y trouve notamment une sorte d’Hercule haut de huit mètres écartelant à mains nues un Cacus androgyne ou une nymphe géante dont la chevelure s’enracine dans le sol, un éléphant caparaçonné d’une tour crénelée soulevant de sa trompe le corps d’un légionnaire romain, une tortue monumentale chevauchée par une déesse ailée bravant un monstre engloutissant une bête marine, deux sphinx accroupis, la déesse nourricière Cérès couronnée d’une corbeille d’agaves, Proserpine la déesse des enfers aux bras ouverts, un dragon, un cerbère infernal à trois têtes défendant l’accès d’un temple, Pégase le cheval ailé, une maisonnette à double étage à l’architecture penchée dédiée au cardinal Cristoforo Madruzzo (1512-1578, un des grands protagonistes du concile de Trente, ville dont il fut l’évêque), deux sirènes, ainsi qu’un masque simiesque dont la gueule béante (creusée d’une caverne) est surmontée d’une inscription extraite de l’Enfer de Dante. Un petit temple de Vesta octogonal évoquant par son portique et son péristyle le Temple de la Fortune virile à Rome a peut-être été réalisé par le Vignole lui-même quelque vingt ans plus tard.
4 LA POSTÉRITÉ ARTISTIQUE D’UN PARC DEVENU MYTHIQUE
Tombé dans l’oubli après la mort de Vicino Orsini, le parc a rapidement été envahi par une végétation luxuriante, qui a masqué et endommagé les sculptures, aujourd’hui très érodées. Il a été redécouvert au début du XXe siècle, sous une nature sauvage renforçant l’étrangeté fantastique et le caractère labyrinthique du lieu. Réhabilité peu à peu (notamment, depuis 1955, par l’Institut d’histoire de l’architecture de Rome et, plus tardivement, par les chercheurs de l’Académie de France à Rome), le parc de Bomarzo a particulièrement fasciné Salvador Dalí, Jean Cocteau, André Pieyre de Mandiargues (qui le décrit dans son essai Les monstres de Bomarzo dans l’ouvrage Le Belvédère) et l’écrivain néerlandais Hella S. Haasse (De tuinen van Bomarzo, 1968 ; Les Jardins de Bomarzo, 2000 pour la traduction française). Ce parc a aussi inspiré l’écrivain Mario Praz, le photographe Brassaï, le peintre néerlandais Albert Willink et le cinéaste italien Antonioni qui, en 1950, a réalisé sur ce sujet un documentaire : La Villa dei Mostri (« la Villa des Monstres »).
C’est aussi la visite du parc en 1958 (aux côtés du peintre Miguel Ocampo) qui a inspiré à l’écrivain argentin Manuel Mujicà Lainez le sujet de son roman Bomarzo (1962, prix Kennedy), un des chefs-d’œuvre de la littérature argentine contemporaine, dont a aussi été tiré le livret de la Cantata Bomarzo et de l’opéra Bomarzo d’Alberto Ginastera, créé à Washington en 1967, après que cet opéra eut été interdit de création à Buenos Aires par le gouvernement argentin pour atteinte aux bonnes mœurs.
Microsoft ® Encarta ® 2007. © 1993-2006 Microsoft Corporation. Tous droits réservés.
Rédigé par : Yves | 24 mai 2007 à 08:38
Je ne connaissais pas ce tableau mais il est vrai que d'emblée, dès le premier coup d'oeil, j'ai aussi pensé au Cabinet du Philosophe. Quelque chose dans le mouvement, que je tends personnellement à voir comme ascendant...
Amitiés
Rédigé par : Pascale | 24 mai 2007 à 12:59