Bussaglia, lundi 19 juillet 1909
La plage de Bussaglia est vaste et sa découpe rassurante. De minuscules cailloux de granit et de schiste rose crissent sous nos pas. C’est très étonnant et très agréable aussi de retrouver les bruits de la terre. J’avais presque oublié celui, particulier, des coquillages écrasés sous les pieds. À l’autre bout de la plage, du côté des masures dont nous apercevons les toits, un paysan est en train d’atteler son âne. Nous nous avançons dans sa direction. Muriel et Valentine s’approchent de l’âne, gris de la poussière des sentiers. Il secoue vaguement le col. En guise de salut, le paysan soulève son chapeau à larges bords.
Muriel, peu farouche, prend la parole :
- « Monsieur, c’est loin d’ici Porto ? »
Le vieux hoche la tête et pointe une direction, d’un geste vague.
- « C’est là, derrière la montagne. Il faut prendre la route de la corniche, par l’Aghja Campana. ».
Nous cherchons à deviner où cela peut-être.
- « Combien de temps ? » hasarde Valentine.
- « Mbah ! Une petite heure. »
- « Mais vous aviez dit que c’était tout près ! » se lamentent-elles de concert.
- « Oui », reprend le vieux, « à vol d’oiseau, mais c’est compter sans les virages et la route est étroite et pleine de nids de poules. Elle n’a pas été refaite depuis fort longtemps et elle a été abîmée par l’hiver. »
Vont-elles renoncer ? Elles se concertent du regard puis Valentine dit :
- « Est-ce que je peux monter sur votre carriole ? Je voudrais aller à Porto. »
- « Vous avez de la chance. Je remonte sur Ota. C’est ma route, vous n’avez qu’à grimper. Je vous laisserai à l’embranchement, sous les eucalyptus. Je vous montrerai le chemin. Vous ne pourrez pas vous tromper, il n’y en a qu’un qui descend vers la mer. »
Voilà Muriel et Valentine embarquées sur la carriole, jambes croisées et pendantes, leur sac posé derrière leur dos, prêtes à affronter la route cahotante de la corniche. Le vieux se tourne vers elles et les interroge du regard, puis hasarde une question :
- « Et vous, petites, vous n’allez pas à Porto ? »
Caroline fait non de la tête, mais c’est moi qui prends la parole.
- « Non, monsieur, nous irons ce soir avec nos parents. »
Le vieux hoche la tête, tire sur ses brides, lance un « tsa, tsa » péremptoire. L’âne se met en branle, nonchalamment. La carriole s’éloigne, avec Muriel et Valentine triomphantes à son bord.
SUITE, LE TOUR DE CORSE À LA VOILE, 20
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