Le 8 avril 1911 naît à Rasinari, en Roumanie, Emil Michel Cioran. Auteur d’essais à « l’humour grimaçant », l’écrivain roumain d’expression française, E. M. Cioran, dont la pensée porte le sceau du pessimisme de Kierkegaard, doit son véritable éveil à la conscience à la rencontre que, dès son plus jeune âge, il fait avec soi. Par le prisme de l’ennui. La conscience du rien comme arrière-plan de tout le pousse dès lors à explorer le nihilisme jusque dans ses plus extrêmes confins. Par la médiation de l’écriture, son unique planche de salut. S’ensuivent Précis de la décomposition (1949), Syllogismes de l’amertume (1952), La Tentation d’exister (1956) et De l’inconvénient d’être né (1973). EXTRAIT de LA TENTATION D'EXISTER Ph., G.AdC Également tragique est le cas du poète. Enclos dans sa propre langue, il écrit pour ses amis, pour dix, pour vingt personnes au plus. Son désir d’être lu n’est pas moins impérieux que celui du romancier improvisé. Du moins a-t-il sur lui l’avantage de pouvoir placer ses vers dans les petites revues de l’émigration qui paraissent au prix de sacrifices et de renoncements presque indécents. Tel se transforme en directeur de revue ; pour la faire durer, il risque la faim, se détourne des femmes, s’enterre dans une chambre sans fenêtres, s’impose des privations qui confondent et épouvantent. La masturbation et la tuberculose, voilà son lot. Si peu nombreux que soient les émigrés, ils se constituent en groupes, non point pour défendre leurs intérêts, mais pour se cotiser, se saigner, afin de publier leurs regrets, leurs cris, leurs appels sans écho. On chercherait vainement une forme plus déchirante de gratuité. Qu’ils soient aussi bons poètes que mauvais prosateurs, cela tient à des raisons assez simples. Examinez la production littéraire de n’importe quel petit peuple qui n’a pas la puérilité de se forger un passé : l’abondance de la poésie en est le trait le plus frappant. La prose demande, pour se développer, une certaine rigueur, un état social différencié, et une tradition : elle est délibérée, construite ; la poésie surgit, elle est directe, ou alors totalement fabriquée ; apanage des troglodytes et des raffinés, elle ne s’épanouit qu’en deçà ou au-delà, toujours en marge de la civilisation. Alors que la prose exige un génie réfléchi et une langue cristallisée, la poésie est parfaitement compatible avec un génie barbare et une langue informe. Créer une littérature c’est créer une prose. E. M. Cioran, La Tentation d’exister [1956], Éditions Gallimard, Collection Tel, 1986, pp. 64-65. |
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Sans être étranger dans mon état, dans mon coeur j'erre clandestin au monde, et oui, en lisant ceci, l'envie et le rapprochement se fait, je vais lire un peu plus de Cioran. Merci.
Rédigé par : Pant | 09 avril 2007 à 18:15