Ph., G.AdC 4 avril 1928 « Cette date marque pour moi le début d’une ère nouvelle. J’ai découvert ces jours-ci quelque chose d’important dans mon existence, voire la seule chose d’important qui me soit arrivée : la description que j’ai faite d’une partie de ma vie. Un amas de descriptions mises de côté pour un médecin qui les avait prescrites. Je la lis et la relis, et il m’est facile de la compléter, de mettre chaque chose à la place qui lui revient et que, par maladresse, je ne sus pas trouver alors. Comme elle est vivante, cette vie, et comme est définitivement morte la partie que j’en ai racontée. Parfois je me mets à la chercher avec anxiété, sentant un manque, mais elle reste introuvable. Et je sais aussi que la partie que j’ai racontée n’en est pas la plus importante. Elle est devenue la plus importante parce que je l’ai fixée. Et moi, que suis-je à présent ? Non point celui qui a vécu, mais celui que j’ai décrit. Oh ! L’unique partie importante de la vie est le recueillement. Quand tout le monde le comprendra avec la même clarté d’esprit que moi, tout le monde se mettra à écrire. La vie sera littératurisée. Une moitié de l’humanité se consacrera à lire et à étudier ce que l’autre moitié aura consigné par écrit. Et le recueillement occupera la majeure partie du temps qui échappera ainsi à l’horreur de la vie. Et quand bien même une partie de l’humanité se révolte et refuse de lire les élucubrations de l’autre, tant mieux. Chacun se lira soi-même. Et pour chacun sa propre vie s’en trouvera soit plus claire, soit plus obscure, mais alors, elle se répètera, se corrigera, se cristallisera. Du moins ne restera-t-elle pas telle qu’elle est, sans relief, sitôt ensevelie que née, avec ces jours qui s’en vont et s’accumulent pareils les uns aux autres pour former les années, les décennies, la vie si vide qu’on ne peut que la représenter par un chiffre ou un tableau de statistiques démographiques. Pour ma part, je veux écrire encore. Ces pages me contiendront tout entier, j'y mettrai toute mon histoire. » Italo Svevo, Les Confessions du vieillard [traduction de Jean-Noël Schifano], in Mario Lavagetto, La Cicatrice de Montaigne, Le mensonge dans la littérature, Gallimard, Collection L’Arpenteur, 1997, page 217. Composées de fragments, Les Confessions du vieillard (Le Confessioni del vegliardo) sont conçues et présentées par Italo Svevo comme un prolongement de La Conscience de Zeno. Zeno que, dans ces suites de réflexions, l’on retrouve dans un environnement et un climat familial identiques à ceux d’alors, continue de vivre dans l’oisiveté qui était la sienne au temps de La Conscience. La seule nouveauté entre les deux récits est que l’âge et la maladie rendent désormais excusables une inaction considérée jadis comme névrotique. À la recherche de son passé, Zeno n’a plus d’autre issue que de s’interroger sur sa condition de « vecchione » et de se prolonger dans un ultime « bougonnement » d'écriture : « Chez moi on me traite de grognon. Ils seront bien surpris. Je n'ouvrirai plus la bouche et je rouspéterai sur ce papier ». Italo Svevo meurt cinq mois plus tard, le 13 septembre 1928. |
ITALO SVEVO Source ■ Italo Svevo sur Terres de femmes ▼ → 1er février 1926 | Italo Svevo et Adrienne Monnier → 13 septembre 1928 | Mort de Italo Svevo |
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que j'aime cet homme, même quand il m'agace !
Rédigé par : brigetoun ou Brigitte Celerier | 05 avril 2007 à 11:13