Le 23 avril 1948 naît dans l’Eure, à Verneuil-sur-Avre, Pascal Quignard.
Le soleil va se coucher. C'est l'heure que toutes les deux préfèrent. [...] Juliette dit : ― Appelle-moi Giulia si tu m'aimes. ― Appelle-moi Anna. Anna et Giulia rient et parlent. Puis plongent soudain et gagnent le large. [...] * Chacun avait son royaume : Lena quand elle était en Italie l’orage, Ann sa longue chambre qui donnait sur la mer Tyrrhénienne, Giulia le canapé et son verre de vin blanc, Armando l’atelier d’acier, Jovial Sénile les soirées de drogue, Phyllis les bancs des églises, Kropotkine la montagne, Charles chaque livre de sa bibliothèque. Ils étaient amis mais se voyaient peu. Chacun avait hâte de retourner à son royaume. * Je pourrais remplir de détails les mois qui suivirent. Ils furent occupés, amoureux, bâtisseurs. Je saute. Je saute. Je saute. J’arrive en mars suivant. J’arrive de nouveau dans le froid. Giulia et Ann vivaient ensemble à Ischia les trois mois où Magdalena se trouvait chez sa mère. Les trois mois où la petite était en Italie, Giulia revenait sur Naples la semaine. Le week-end, elles regagnaient l’île. * Ann était devenue italienne dans les bras de Giulia. Le désir sexuel retrouvé embellit le corps, irradie l’entourage, purifie l’air. Elles marchaient main dans la main. Elles remontaient de la mer. Elles ne parlaient pas. Ann portait les serviettes de plage. Giulia tenait ses magazines absurdes. Leurs sandales traînaient dans la poussière brûlante. Magdalena chantait dix mètres derrière elles, languissante, ruminante, trottante, bâillante. Elles étaient toutes les trois toutes bronzées. Même la peau de Giulia avait cessé de rougir. Elle se hâlait peu à peu. * Giulia était assise sur le canapé ― un Chesterfield usé ― les pieds déchaussés et ramassés sous les fesses, un verre de vin blanc à la main, croquant ses cacahuètes. Magdalena dit tout bas : ― Petit chat ! Un petit chat venu de la terrasse pointait la tête dans la chambre. Ann sortit de la douche toute nue, dégoulinante, sa serviette à la main. ― Tu as vu ? dit Magdalena. ― Qu’il est beau ! Ann ouvrit plus largement la porte-fenêtre. Elle posa la serviette sur le sol et s’agenouilla devant lui. ― Tu es beau, dit-elle. ― Tu as vu la tache noire ? demanda Magdalena ? ― Tu crois que c’est un signe ? lui demanda Ann. * Lena dormait sur le ventre de Giulia. Elles étaient toutes les deux sur le canapé. Giulia buvait son vin blanc, lisait ses magazines achetés Corso Colonna, mangeait ses cacahuètes pendant que Magdalena poussait de grands soupirs excédés, s’agitant dans son rêve. Ann était assise sur le carrelage dans le coin le plus frais de la pièce, dans l’angle de la cheminée, le dos à la roche noire du volcan, une partition déroulée dans les mains. Pascal Quignard, Villa Amalia, Gallimard, Collection blanche, 2006, pp. 213-215. |
■ Pascal Quignard sur Terres de femmes ▼ → Boutès (lecture d’AP) → Cûdapanthaka (extrait de L’Enfant d’Ingolstadt) → Medea (lecture d’AP) → Les kami (extrait de L'Origine de la danse) → Villa Amalia (lecture d’AP) → 28 octobre 2002 | Pascal Quignard, Prix Goncourt 2002 (lecture des Ombres errantes par AP) |
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je ne connaissais pas ce livre, pas vraiment lu de romans de Quignard, mais sa Vie secrète est un des livres qui m'a questionné au plus haut point, et ses Petits traités alimentent mon besoin de culture avec un plaisir certain, grand auteur !
Rédigé par : Pant | 24 avril 2007 à 09:27
A Beatrice
jamais
je ne saurai
ton sens
dans mon propre filet
et les grands pas
du petit pied
jamais
je ne t’aurai
couchée à mes côtés
avec ton doux nez
devinant
ce que cachent mes flancs
jamais
je ne connaîtrai
femme dans femme
ce qui se dit,
l’âme à l’âme
l’une à l’autre
à l’ombre du figuier
car, tu le sais
au gré des roses
les parfums changent
mais pas les choses
Rédigé par : Emilie Delivré | 20 mai 2007 à 20:02