Marguerite de Navarre
Image, G.AdC
LA « MARGUERITE DES PRINCESSES »
Fille de Louise de Savoie et de Charles d’Orléans, comte d’Angoulême, Marguerite, premier enfant du couple, naît, sans apparat particulier, le 11 mars 1492 [année de la découverte des Amériques, mais aussi de l’élection d'Alexandre Borgia à la papauté] au château de son père. Pourtant celle que l’on appellera plus tard la « marguerite des princesses » est duchesse d’Alençon et de Berry. Par son second mariage, elle devient reine de Navarre. Mais Marguerite de Navarre est d’abord et surtout la sœur de celui qui, en janvier 1515, monte sur le trône de France : le « grand Roy François .» Le frère et la sœur, unis par une grande affection, une estime mutuelle et une même sensibilité de cœur et d’esprit, construiront ensemble la Renaissance française. C’est à Marguerite de Navarre, pénétrée de l’humanisme de son temps et bonne conseillère de son frère, que l’on doit l’idée de transférer la bibliothèque de Fontainebleau à Paris. Et de créer la Bibliothèque de France. Qui deviendra la Bibliothèque Nationale de France. C’est à elle aussi que l’on doit la création du collège des « Lecteurs royaux », futur Collège de France.
C’est que, dès son jeune âge, la jeune Marguerite grandit dans un univers de lettrés, fréquentant assidûment la bibliothèque de Blois, propriété de son aïeul, Jean d’Angoulême. Mariée au duc d’Alençon à l’âge de dix-sept ans, elle est sauvée de l’ennui de cette cour par son frère François Ier qui lui confie le rôle « d’ambassadrice » auprès des lettrés de son temps, notamment l’abbé Briçonnet, évêque de Meaux, et Lefèvre d’Étaples, premier traducteur de la Bible en langue française.
Esprit fin et cultivé, mais âme inquiète et tourmentée, Marguerite médite. Sur les dangers qu’encourt le royaume menacé par les ambitions de Charles Quint. Sur les questions religieuses qui taraudent l’équilibre de son pays. Sur elle-même. Restée veuve et sans enfant, elle épouse en secondes noces le jeune Henri d’Albret, roi de Navarre. De cette union naîtra Jeanne d’Albret. Mère du futur roi Henri IV, dont elle est la très illustre grand-mère.
L’Heptaméron
Grande lectrice, la reine est aussi une conteuse de talent, qui aime à réjouir l’assemblée de ses invités et commensaux de récits souvent cocasses et pimentés. De sa plume enjouée surgiront, outre de nombreux poèmes, un recueil de nouvelles qui lui vaudra sa notoriété d’écrivain. Ce recueil, intitulé L’Heptaméron, est inspiré dans sa facture et sa composition de l’auteur italien Boccace et de son Décaméron. Commencée vers 1546, la rédaction de cet ouvrage se perpétuera jusqu’à la mort de la reine en décembre 1549. La femme de lettres n’aura donc pas le loisir de mener à bien l’intégralité de son projet.
L’Heptaméron ne comptera que 72 nouvelles réparties sur sept jours au lieu de dix (comme c’est le cas dans son modèle le Décaméron.) Les deux dernières nouvelles qui ouvrent la huitième journée ne seront suivies d’aucune autre. Le projet de Marguerite de Navarre se trouve précisé dans le prologue qui sert d’ouverture à l’ouvrage : dix intervenants, cinq hommes et cinq femmes retenus aux bains de Cauterets en raison d’intempéries et d’inondations qui les obligent à prolonger leur séjour dans ce lieu, occupent leurs soirées à deviser. Chacun intervenant à tour de rôle pour commenter l’histoire qui vient d’être contée et annoncer celle qui va suivre.
Derrière certains « devisants », il est aisé de reconnaître les proches de la reine : Louise de Savoie dans Dame Oisille, Nicolas Dangu dans Dagoucin. Hircan ne serait autre que Henri d’Albret, époux de Marguerite. Et Parlamente, la reine Marguerite elle-même. Quant aux événements racontés, ils s’appuient pour une large part sur la réalité et les mœurs d’une époque.
Outre les qualités littéraires de l’œuvre, L’Heptaméron est sans conteste une mine pour les historiens, spécialistes du XVIe siècle,… mais aussi un régal de lecture.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
L'HEPTAMERON (EXTRAIT)
« La Royne, oyant ces parolles, fut si transportée, que, de paour de monstrer par sa contenance le troublement de son esprit, s’appuyant sur le bras du gentil homme, s’en alla en ung jardin près sa chambre, où longuement se promena, sans luy povoir dire mot. Mais le gentil homme, la voyant demy vaincue, quant il fut au bout de l’alée, où nul ne les povoit veoir, luy declaira par effect l’amour que si long temps il luy avoit cellée ; et, se trouvans tous deux d’un consentement, jouerent la vengeance dont la passion avoit esté importable. Et là delibererent que toutes les foys que le mary iroit en son villaige, et le Roy de son chasteau en la ville, il retourneroit au chasteau vers la Royne : ainsi, trompans les trompeurs, ils seroient quatre participans au plaisir que deux cuydoient avoir tous seuls… »
Marguerite de Navarre, L’Heptaméron, Première Journée, Troisiesme Nouvelle. Classiques Garnier, 1967, pp. 25-26.
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