CECILIA de MADERNO (1600)
La « sans-visage » est là. Longtemps je l’ai cherchée, arpentant le Trastevere, d’un quartier à l’autre, d’une église à l’autre. Elle est là, enfin ! Enclose dans sa châsse de verre et de bronze, sculptée dans son marbre blanc. Elle est là, couchée devant l’autel de la basilique qui porte son nom. Santa Cecilia in Trastevere. Sainte-Cécile du Trastevere. Allongée sur le côté, genoux légèrement fléchis, on pourrait la croire paisiblement endormie. Mais l’inconfortable position de la tête, presque une torsion, la tension des bras, évoquent un au-delà du sommeil. Un voile recouvre la chevelure dont quelques boucles seulement affleurent, à l’orée du cou. Contraste. Le cou, fragile et dénudé, porte la trace d’une lacération. Le visage, qui repose sur un pan de tissu, est caché. Invisible, le regard dérobé de la jeune femme ; inaccessible l’expression de sa bouche. Et cependant, au-delà de toute représentation, la beauté de Cécile irradie.
Tournée vers l’intérieur, Cécile se détourne du monde auquel elle a appartenu. Pourtant, derrière cette apparente volonté d’effacement, quelque chose de décidé transparaît. Contraste. Corps fléchi dans l’abandon et bras tendus. Un ordre s’exprime, qui passe par les mains. Posées côte à côte. L’index de la main gauche pointé vers une direction inconnue. La main droite, plus alanguie, trois doigts doucement dépliés.
Présent avec d’autres artistes au moment de l’identification de la dépouille de Cécile (1599), le sculpteur Stefano Maderno (frère de l’architecte Carlo Maderno) a représenté la sainte dans la position qui était la sienne au moment où elle fut retrouvée. Bouleversé par cette exhumation, l’artiste, jouant sur de subtils contrastes, s’est attaché à mettre en relief certains détails. L’entaille dans la chair tendre du col que l’épée n’a pas réussi à trancher ; la chasteté ― âprement défendue par Cécile ―, symbolisée par l’extrême simplicité ― pureté ― de la robe et de son drapé; la foi de Cécile. Foi dans la Trinité et dans l’Unité. Mystère de la foi de Cécile.
Ardemment recherchée, la dépouille de Cécile ― vierge et martyre de l’époque de l’empereur Alexandre (223) ou de Marc-Aurèle (220) ― a été retrouvée dans les catacombes de Saint-Callixte et transférée en 821 ― sur les ordres du pape saint Pascal I ― dans le Trastevere où a été édifiée la basilique qui lui est consacrée.
Étonnante de modernité, la Cécile de Maderno (1600), premier grand témoignage de la statuaire baroque, émeut et trouble. Belle mystérieuse, voilée ― dévoilée ― révélée.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Reportage photographique, G.AdC
Différente mais je l'aime tout autant que la Thérèse du Bernin, l'ambiguïté merveilleuse du baroque.
Rédigé par : brigetoun | 13 mars 2007 à 18:53
En effet, Brigetoun, ces deux sculptures sont l'antithèse absolue l'une de l'autre. Et pourtant, le baroque est là, à ses prémices pour l'une, dans son apothéose pour l'autre. Celle de Bernini me fascine par son "ambiguité" extase/eros, la fusion des deux tensions, l'autre me bouleverse par ce jeu des torsions qui met en scène les formes amples de la femme et le refus de les laisser pleinement s'accomplir.
Rédigé par : Angèle Paoli | 14 mars 2007 à 12:19
Bonjour Angèle,
Bellissimo. Complimenti anche a chi ha preso la foto del viso nascosto. E le mani ! Ma cosa può significare questa disposizione delle dita? Avrebbe qualche soggerimento da condividere con me?
Amicizia,
Jean-Marc
Rédigé par : Jean-Marc | 15 mars 2007 à 16:54
Heureuse (vraiment !) de vous lire, Jean-Marc. Compliments à Guidu (le photographe et directeur artistique de Terres de femmes), qui a fait pour moi ce reportage le week-end dernier. Je me suis moi-même rendue dans cette basilique il y a huit jours.
Pour ce qui concerne plus précisément votre question ("quelle peut être la signification de cette disposition des doigts ?"), la réponse est contenue dans mon texte, mais il est vrai un peu elliptique : "Foi dans la Trinité et dans l’Unité." Mais vous n'attendez pas de moi, j'imagine, un développement catéchétique sur le Mystère de la Trinité ?
@ prestu è amicizia
Angèle
PS : Pour info : le Miserere d'Allegri que j'ai mis en ligne a été composé une trentaine d'années après la réalisation de cette sculpture (vingt ans avant L'Extase de sainte Thérèse et avant Jephté de Carissimi). Une splendide correspondance musicale. En plein baroque évidemment.
Rédigé par : Angèle Paoli | 15 mars 2007 à 17:13
Beata Lei, Angela!
Le plaisir est réciproque !
Merci pour la mise en ligne du Miserere d'Allegri.
Rédigé par : Jean-Marc | 15 mars 2007 à 19:49
Ciao Angela,
De retour d'Italie (de Naples, précisément), je découvre avec retard votre billet. C'est une des sculptures les plus émouvantes qu'on puisse voir. C'est d'une délicatesse inouïe, bouleversante. D'avoisinant, pour ce qui regarde l'intensité émotionnelle suscitée par une sculpture, je ne puis distinguer dans mon souvenir que la Pietà de Michel-Ange et l'Orphée et Eurydice de Canova.
Rédigé par : Don Diego | 18 mars 2007 à 19:03
Excusez moi svp - je ne parle pas francais.
je suis un graphiste d'Edimbourg en Ecosse. Je cherche des images de la sculpture de Santa Cecilia in Trastevere pour une projet. Vos images ici sont les plus belles d'internet mais la qualité n'est pas suffisante pour reproduire. Avez-vous des images d'une qualité supérieure ?
Merci et à bientôt
Andy
Rédigé par : Andy McGregor | 06 mai 2008 à 12:05
Quelles belles photos, quel beau commentaire !
Invisibles, le regard, le visage et la bouche de sainte Cécile, car tout dédiés à son céleste Epoux et Sauveur.
Cette beauté si bouleversante et si mystérieuse nous parle de la sublimité du sacrifice de la Sainte, c'est une grâce que le sculpteur ait si bien réussi à nous transmettre son émotion sacrée.
Moi aussi j'ai été marquée par cette statue vue en photo à l'âge de 11 ans, c'est pourquoi ma première fille s'appelle Cécile.
J'ai eu le bonheur de contempler cette statue à Rome le 31 décembre 2007 et je suis restée scotchée je ne sais pas combien de temps devant.
Vous tous qui me lisez, si vous y allez aussi, saluez sainte Cécile pour moi, un peu comme si j'y étais...
Rédigé par : catherine | 21 novembre 2008 à 10:15
Merci pour votre émouvant témoignage, Catherine, je vous promets de retourner voir Cécile, au printemps.
Rédigé par : Angèle Paoli | 21 novembre 2008 à 22:16
ah la voilà enfin, cette image de sainte Cécile dont je garde le souvenir poignant et tellement précis mais je ne me souvenais plus par contre à quel endroit je l'avais vue...! Je l'ai vue quand j'avais 15 ans il y a 40 ans dans les catacombes justement. La statue était par terre sur la terre battue et cet extrême dépouillement du lieu contrastait avec sa blancheur marmoréenne pourtant si souple et vivante dans son rendu. L'émotion de la revoir est intacte, car j'avais été très impressionnée à l'époque par la virtuosité du sculpteur capable de rendre avec autant d'intensité dramatique ce drame de la Foi et du Martyre avec autant d'abandon et d'humilité...
Rédigé par : Anne-Laure | 20 octobre 2010 à 09:14
Magnifique !
Merci, Anne-Laure. Je ne connaissais ni cette statue stupéfiante ni ce texte d'Angèle, qui amplifie le bonheur de regarder les photos de Guidu, donc, pour moi, de découvrir cette Cécile si pure.
Rédigé par : christiane | 20 octobre 2010 à 13:24