Diptyque photographique, G.AdC
Le 3 mars 1928 naît à San Biagio della Cima, petit village de Ligurie, l’écrivain Francesco Biamonti.
« Narrateur profondément lyrique », Biamonti a ancré ses romans dans la région qui l’a vu naître et mourir (17 octobre 2001). Francesco Biamonti est l’auteur de plusieurs romans, tous traduits en français : L’Ange d’Avrigue (Verdier, 1990), Vent largue (Verdier, 1993), Attente sur la mer (Seuil, 1996), Les Paroles la nuit (Seuil, 1999).
MAINTENANT CHOISISSEZ OÙ NOUS ALLONS (EXTRAIT de Les Paroles la nuit)
- Maintenant, choisissez où nous allons.
- Ville ou village ?
- Je préfère un petit village.
Ils remontèrent. Murets et troncs d’oliviers au premier plan, étoiles immobiles comme des pierres. Le village était posé sur une crête. Ils laissèrent la camionnette devant une église qui faisait face à la mer et s’adossait à un pan de montagne.
- Quel silence ! dit-elle.
- La Ligurie est belle quand elle est silencieuse.
- Vous préférez l’hiver ?
- De très loin. Les couleurs sont autres.
« Et dans le ciel, des agonies lumineuses », pensa-t-il.
Ils dînèrent dans un restaurant caché au milieu des chênes verts. Il devait se modérer: elle mangeait lentement; elle n’était pas marquée par des souvenirs de faim. Il regardait les branches qui effleuraient les vitres.
- Vous avez un beau nom: Leonardo.
- Un peu solennel.
- Il ne vous plaît pas ? Le mien aussi est long. Celui de mon mari est court: Alain.
- Je croyais que c’était un nom de famille. Il n’y avait pas un philosophe qui s’appelait ainsi ?
- Qu’avez-vous fait comme études ?
- Aucune, dit-il.
Et il eut un sourire gêné.
- Vous avez eu une enfance heureuse?
- Toujours à courir les campagnes, des terres blanches aux terres dorées, des genêts aux lentisques.
- Je vous ai demandé si vous étiez content. Vous ne voulez pas me le dire.
- Certains soirs sur les crêtes je marchais dans le violet, un pas me séparait d’une autre vie. À la maison il n’y avait rien. L’eau, il fallait aller la chercher au puits.
Quand ils sortirent, il y avait la même brise que celle qui, quelques jours plus tôt, remuait les cendres du feu des Kurdes. Les arbres bruissaient. Au nord il faisait clair, au sud nuageux.
- Et maintenant où allons-nous?
- Nous pouvons aller nous promener au bord de la mer, à cette heure il n’y a plus personne.
- La nuit bougeait sur le sentier maritime. Le beau temps gagnait du terrain. Au nord, très haut dans le ciel, s’ouvraient des crevasses.
- La brise est en train de l’emporter sur le vent de mer. […]
Des falaises montait une odeur de lentisques, d’immortelles, la mer, encore sans lune, n’était qu’un souffle. Pas même une clochette de palangres, sur l’eau: de ces sons qui accentuent le silence.
Après la visite à la mer, ils revinrent sur la hauteur, dans les parages d’Argela. Il y avait encore un peu de forêts. Le sol était doux sous les pas. Et, à l’improviste, un tressaillement à l’horizon.
Des azurs tout juste annoncés sur la mer d’un blanc délicat. La terre inconsistante, poreuse, les oliviers comme dans un frisson de vent, rose et cendre sur l’écorce. Un éperon lointain décapité par un or friable.
- Le jour vient.
Véronique se blottit au pied d’un tronc ardent.
- C’est une nuit manquée, dit-elle. »
Francesco Biamonti, Les Paroles la nuit [Le parole la notte, Einaudi, Torino, 2003], Éditions du Seuil, 1999, pp. 33-35. Traduit de l’italien par François Maspero.
Superbe texte
ciselé comme une pierre
avec cette tension de l'attente
entre deux êtres qui se cherchent.
merci
Rédigé par : Viviane | 04 mars 2007 à 21:16