PIEDS NUS À TRAVERS LA MAURITANIE
Le dimanche 25 mars, au lieudit Silliwol, devant un gommier, j’attendais patiemment que Boudaïl ait fini son déjeuner. Soudain, il prit peur sans aucune raison valable pour d’autres que pour lui et se jeta dans les buissons. Une branche morte se trouva en travers de sa route, une branche pareille à des milliers d’autres, avec ses petites épines crochues, disposées par groupes de trois, qui, après avoir déchiré ma tunique, m’éraflèrent la main droite en y laissant leurs pointes.
À quoi bon rapporter ce fait insignifiant, banal dans un pays où l’on a toujours quelque épine dans la main ou le pied ? Moi-même sur le moment je n’y attachai nulle importance. J’étais bien plus inquiète de notre dénuement ; et aussi d’un cro-cro qui depuis huit jours me rongeait l’orteil. J’arrachai donc avec mes dents les plus grosses épines. À la halte, M’Hammed en extirpa d’autres avec son moungache, le petit instrument fait d’une pince et d’un poinçon de fer qu’un Maure porte toujours suspendu à son cou. Une épine restait au gras du pouce, trop fine ou trop profonde pour qu’on puisse la trouver. Mais, s’il fallait se tourmenter pour une épine, la Mauritanie ne serait plus habitable. Je continuai donc mon chemin, sans me douter que j’emportais, invisible sous ma peau, la borne même de notre voyage.
Et ça continuait toujours pareil, avec les mêmes soucis, les mêmes privations, les mêmes haltes aux mêmes heures sous les mêmes arbres, les mêmes discussions avec les Maures dont les empressements et les mauvaises humeurs se succédaient selon un invariable cycle.
Lorsque le partisan a glissé peu à peu sur la pente d’insolence et de paresse qui lui est familière, bien entendu, vous l’engueulez : il devient aussitôt charmant. Attendri par ce zèle, vous vous laissez aller à la récompense d’un cadeau où lui ne voit qu’une sorte de tribut, marque de son importance et de votre faiblesse… D’ailleurs, pourquoi se gêner puisque le beau drâa neuf, l’aouli satiné ou les perles pour la coiffure de sa femme sont obtenus ?… Nouvelle grève, nouvelle engueulade, nouveau zèle, etc… Ni lui ni vous ne vous corrigerez jamais.
M’Hammed et son « petit frère », loin d’avoir été remplacés à Kaëdi, avaient gagné des tuniques neuves et conclu un marché avantageux. Ils étaient donc les plus forts et nous le faisaient sentir.
Je me rends bien compte de la monotonie de mon récit. Un récit de nomade peut-il n’être pas monotone ? C’est oui… parce que c’était toujours pareil. »
Odette du Puigaudeau, Pieds nus à travers la Mauritanie 1933-1934, Plon, 1936 ; rééd. Éditions Phébus, Collection libretto, 1992, pp. 207-208.
« Ma naissance à Saint-Nazaire, le 20 juillet 1894, a eu sur ma destinée une profonde influence. Il me semble qu’une enfant dont les yeux se sont ouverts sur l’estuaire de la Loire, qui s’est émerveillée du va-et-vient des bateaux, qui a entendu les sirènes des navires en partance et de ceux qui reviennent chargés de fruits, de bêtes et d’objets étranges, une telle enfant ne peut échapper à la passion de la mer et au rêve des voyages. »
Odette du Puigaudeau, in Note de l’éditeur de Pieds nus à travers la Mauritanie.
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