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DIOTIMA
Tu souffres en silence, incomprise de tous,
Ô noble vie ! tu tiens en silence les yeux baissés
Par ce beau jour, toi qui au monde
Cherches en vain tes pareilles, hélas,
Ces âmes reines qui jadis, fraternelles,
Unies comme d’un même bosquet les cimes,
Pouvaient de leur amour et leur pays,
De l’étreinte sans fin de son ciel jouir,
Au cœur chantant le souvenir des origines ;
Je dis ces âmes de gratitude, assez
Fidèles pour porter jusqu’au fond du Tartare
La joie, elles, ces âmes libres de déesses terrestres,
Et tendres, grandes, âmes qui ne sont plus ;
Et que mon cœur, depuis si longtemps que dure
Son deuil, sans cesse pleure, chaque
Jour au rappel des étoiles d’antan,
Et sa funèbre plainte point ne tarit.
Mais le temps guérit. Les dieux maintenant sont forts,
Sont prompts. N’a-t-elle pas déjà repris
Son vieux privilège de joie, la nature ?
Regarde ! avant que notre tertre, ô mon amour, s’affaisse,
Le jour marqué viendra, et mon chant mortel
Le verra, Diotima, te mettre au rang
Des héros et des dieux, ce jour à ton image.
Friedrich Hölderlin, Odes, Élégies, Hymnes, Gallimard, Collection Poésie, 1993, pp. 45-46.
DIOTIMA
Du schweigst und duldest, denn sie verstehn dich nicht,
Du edles Leben! siehest zur Erd' und schweigst
Am schönen Tag, denn ach! umsonst nur
Suchst du die Deinen im Sonnenlichte,
Die Königlichen, welche, wie Brüder doch,
Wie eines Hains gesellige Gipfel sonst
Der Lieb' und Heimath sich und ihres
Immerumfangenden Himmels freuten,
Des Ursprungs noch in tönender Brust gedenk;
Die Dankbarn, sie, sie mein' ich, die einzigtreu
Bis in den Tartarus hinab die Freude
Brachten, die Freien, die Göttermenschen,
Die zärtlichgroßen Seelen, die nimmer sind;
Denn sie beweint, so lange das Trauerjahr
Schon dauert, von den vor'gen Sternen
Täglich gemahnet, das Herz noch immer
Und diese Todtenklage, sie ruht nicht aus.
Die Zeit doch heilt. Die Himmlischen sind jezt stark,
Sind schnell. Nimmt denn nicht schon ihr altes
Freudiges Recht die Natur sich wieder?
Sieh! eh noch unser Hügel, o Liebe, sinkt,
Geschiehts, und ja! noch siehet mein sterblich Lied
Den Tag, der, Diotima! nächst den
Göttern mit Helden dich nennt, und dir gleicht.
Friedrich Hölderlin, Poèmes/Gedichte, Aubier, collection bilingue, éditions Montaigne, 1943, page 121.
pour Diotima
Non, rien n'a changé sur la Terre, — cher Hölderlin,
la biche aux sabots d'airain est toujours dans les bois,
la nostalgie ouverte. Dans le soleil levant, à l'ombre de midi,
les senteurs de la forêt ne la désaltèrent plus jusqu'au coeur.
Haletante, même la nuit quand elle dort, ses yeux sont en tout temps ouverts,
les flèches la poussent, — errante, car des brutes la poursuivent.
Ni la chaude lumière au plus fort de l'été, ni la fraîcheur des nuits en montagne
ne lui portent plus secours. Dans la rivière, l'après-midi d'été,
elle plonge tout son corps meurtri de blessures.
En bas, les herbes de la terre lui sourient, les arbres mêmes la protègent.
Mais aucun souffle n'apaise son sang qui lui brûle encore les os.
Elle a mordu aux branches des arbres sur des terres étrangères.
Elle a connu les amers sentiers de l'exil.
Personne ne chassera plus les rêves déchirant son front.
Personne, cher Hölderlin. Voyez !
Rien n'a changé, chaque jour neuf, elle cherche de ses beaux yeux
en amande les bruissantes sources où scintille l'or enfoui.
La biche, si seule dans la beauté du monde, où vous l'annonciez,
comme les lignes de la main les chemins sont divisés. — Perpétuellement.
Serge Venturini, Le sens de la terre suivi de L'Effeuillée, Aphrodite en trente variations, Éditions Didro, Collection Caractères Mobiles, Paris, avril 2004.
Amicizia
Serge Venturini
Rédigé par : serge Venturini | 05 février 2007 à 18:17
Grazie, caru Sergiu, je vois que vous vous êtes essayé à de nobles et subtiles "variations". Ces effeuillages prometteurs me sidèrent et me laissent, interdite, sur la rive !
Rédigé par : Angèle Paoli | 05 février 2007 à 23:37