Ph., G.AdC DANS LA SEULE VÉRITÉ DU RIEN « Il faut quelque chose d’autre que le corps pour que la jonction se fasse : elle se fait dans l’intouchable. » C’est avec cet exergue, tiré des notes de travail de Maurice Merleau-Ponty (Le Visible et l’Invisible, Notes de travail, 1999, 1964) que l’on entre dans le recueil L’intoccabile (L’Intouchable), de Fabio Scotto, publié en 2004 chez Passigli Editore (Passigli Poesia, Firenze-Antella). Édité en France en 2006 dans la très belle collection Grammages par les éditions de L'Amourier, Le Corps du sable (traduit de l’italien par Claude Held, Bernard Noël, Jean-Baptiste Para, Bernard Simeone et Patrick Vighetti. Préface de Bernard Noël) rassemble un choix de poèmes provenant de divers ouvrages dont, au cœur du Corps, celui de L’Intouchable. Titre mystérieux, Le Corps du sable maintient sur le seuil de l’attente. Formes et desseins, sculpture mouvante façonnée par le double motif de l’éphémère et du durable guident le lecteur dans son cheminement à travers l’univers poétique de Fabio Scotto. Mais rien n’advient qui ne soit labile et fluide, soumis à l’immédiate disparition. D’un recueil à l’autre – de La Douce Blessure (1999) à Anniversaire (2000), à L’Intouchable (2004) et à Bouche secrète (Inédits) –, le « corps du sable » se module. Se dissout. Le temps d’une mise à l’épreuve de l’amant par celle qu’il poursuit et qui lui échappe ; le temps d’une mise à l’épreuve du poète par le corps d’un poème puis par un autre. Intouchable, « intoccabile », « le corps du sable » se dérobe à toute tentative de figer ce qui se murmure dans l’entrelacs des mots. Pourtant, exception faite d’« Architheutis »*, l’étrange poème métaphorique sur lequel s’ouvre le présent opus, il se trame, dans ce vagabondage à travers temps et espace, un amour. Tout en attente et désir, caresses et blessures, désillusions et souffrances. Un amour pour une femme qui souvent se désenlace dans une ultime virevolte. À la toute dernière minute du texte, dans les vers où se lie et se lit la chute du poème. De cette tension amoureuse naît Le Corps du sable. Affleure en contrepoint une Carte du Tendre qui donne à déchiffrer, parmi les écueils d’Éros et « les pièges des ronces », la passion du poète : « J’ai nourri mon amour de jeûne la voix au cœur du miel dans le corps du sable » Et son désir : « Je voudrais baiser tes pieds de mille bouches être pour toi soie fraîche papillon sur ton pubis » Mais plus souvent encore, son désenchantement : « L’amour est une chanson pour personne Le reste est cendre que tu éteins sur la cendre Fumée » (La Douce Blessure) D’un recueil à l’autre, affaires et intrigues amoureuses s’enroulent autour du présent, dans une « circularité excluant début et fin ». Deux silhouettes évoluent ensemble, qui parfois se rencontrent, le temps d’une étreinte entre le « je » et le « tu », pour se défaire ensuite dans l’absence : « et voici que nos pas sur le vent comme par enchantement s’élèvent » (Rêves) « Irragiungibile », tel est « le corps du sable » du poète, pareil au papillon de nuit - phalène qui le hante et qu’il poursuit, insaisissablement. « J’ai tout de toi Et tout me manque », conclut le poète dans le très beau poème « Ségovie »* (L’Intouchable) Ce qui se dit dans les poèmes choisis pour constituer le recueil du Corps du sable se noue au cœur de la matière poétique, dans un entre-deux impalpable. D’un photogramme à l’autre, des glissements furtifs s’opèrent, faisant surgir ci et là des images inattendues, des oppositions et des écarts, d’imprévisibles retournements. Qui mettent en relief, dans la brièveté des vers, le décalage existentiel du poète et sa douloureuse lucidité. « Tu brilles pour toi seule Le mal te ressemble Tu me laisses à côté » (Dans le piège des ronces) Tissée autour du quotidien des jours, la matière poétique se construit dans une concision extrême qui se joue des liens syntaxiques et de la ponctuation. Tout cela qui rythme et anime la vie des amants, rivages et villes, déplacements et rencontres, livres lus et objets, ponctue l’espace poétique sans le dépoétiser. Magie sensuelle et incantatoire de Fabio Scotto chez qui les noms propres ou les expressions de l’ordinaire, « le loden vert » ou « le bas fumé » et même « le kleenex », - villes et lieux-dits, poètes chanteurs et peintres -, loin de banaliser le texte dans une contemporanéité excessive et de l’y figer, lui donnent une résonance qui renforce le vibrato émis par les menues présences d'une nature complice. Et donnent, « per un attimo » seulement, l’illusion du bonheur. Dans la « seule vérité » du rien. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli ______________________________ *Poème dit par Fabio Scotto : Source audio Lyrikline. |
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J'ai été fasciné en tant que peintre par la lecture de Merleau-Ponty surtout L'Œil et l'Esprit mais aussi Le Visible et l'Invisible, la poésie habite cet espace ou cherche à trouver ce corps.
Merci pour la lecture de ce poète que je ne connaissais pas,
y a-t-il une poésie corse particulière ou du moins vivace ?
Heureux de lire votre site,
L
Rédigé par : aloredelam | 20 février 2007 à 19:50
Cher aloredelam,
Je me rends les 9/10 mars à Porto-Vecchio où doit se tenir une grande manifestation poétique organisée par l'association Entrelignes (Jean-François Agostini). Une conférence-débat aura lieu (en présence de l'invité d'honneur, Jacques Fusina) où des poètes corses présenteront et liront leurs oeuvres les plus récentes. Je vous tiendrai au courant sur Terres de femmes.
Rédigé par : Angèle Paoli | 21 février 2007 à 01:30