DIMENTICARE PALERMO
Dimenticare Palermo, Oublier Palerme. Voilà des années que ce titre a déposé en moi sa musique mémorielle. Du plus loin que je me souvienne, Oublier Palerme irradie de lumière et d’odeurs dans les réseaux de ma mémoire. De la lumière et des odeurs de la ville de mon enfance : Marseille. Images - ou absence d’images - que j’associe à mon père, à sa bibliothèque, à ses amis du barreau et à sa vie de magistrat. Je comprends mieux aujourd’hui les multiples attachements qui le liaient au monde d’Edmonde Charles-Roux, dont il admirait le talent.
Il aura fallu plus de quarante années pour que ce titre, Dimenticare Palermo, vibre enfin de toute son énergie, de toute sa violente beauté. Je n’ai toujours pas lu le roman d’Edmonde Charles-Roux, mais j’ai vu, hier, le film que Francesco Rosi en a tiré. Francesco Rosi, l’invité d'honneur du festival du cinéma italien de Bastia pour cette année 2007.
C’est avec Dimenticare Palermo qu’hier j’ai associé pour la première fois cinéma et insularité. A Bastia, ma ville natale ! Dans le Studio 2, salle d’Art et essai. La salle était comble. Le public, essentiellement féminin. Constitué en majorité de septuagénaires cultivées. Des habituées qui se connaissent, se congratulent, échangent des avis argumentés sur les films qu’elles ont déjà vus, qu’elles s’apprêtent à voir. Toute une époque surgit, composé subtil de réminiscences. Qui font monter en moi toute une gamme d’émotions.
Dimenticare Palermo? Comment oublier Palerme ? Je n’ai jamais pu oublier Palerme. Qui a vu Palerme une fois ne peut se détacher de ses sortilèges. Qui a Palerme inscrit dans ses gènes ne peut s’en défaire. Qui a traversé les océans pour tenir la ville à distance, est taraudé par elle, viscéralement. Impossible d’oublier Palerme.
Ville de l’excès, Palerme prend le visiteur étourdi dans ses relents de misère et l’ensorcelle dans ses luxes. Derrière la lèpre des palais défunts, les fastes du Palazzo Gangi et du Grand Hôtel et des Palmes, derrière l’animation colorée du ventre de Palerme - le mercato della Vucciria -, se fomentent les mystères de la ville. Ses codes et ses dangers. Car qui dit Palerme, dit violence, règlements de compte, sang versé, mafia, trafic immobilier, prostitution et drogue. Argent sale et malversations. Contrôle de la cité par les parrains. Loi du silence et omertà. C’est cela dont il est question dans le film de Francesco Rosi. Un sujet qui revient sans cesse sous la caméra du cinéaste, un sujet qui lui tient à cœur.
C’est de cet amour/haine pour Palerme et pour la Sicile que le vieux Bonavia, père du futur maire de New York, Carmine Bonavia, a voulu se libérer. Ce sont ses origines profondes qui rattrapent le jeune et ambitieux Bonavia. Qui a construit sa campagne électorale sur le thème de la drogue et décide de faire son voyage de noces en Sicile. Le séjour romanesque se transforme en chasse à l’homme et se boucle en noces de sang. Embarqué dans une histoire dont les dimensions le dépassent très vite, Carmine découvre avec Palerme, sa famille et son passé. Piégé par les embuscades tendues par le parrain qui contrôle la ville, ses habitants et ses institutions, Carmine comprend, mais trop tard, qu’il est manipulé. Ce n’est qu’au terme de ce voyage initiatique à rebours que Carmine découvre qui il est vraiment. Dans un sursaut de virilité et d’orgueil, Carmine choisit son camp. Il accepte de tomber sous les coups du parrain. Le prix payé pour ne pas avoir oublié Palerme.
Angèle Paoli
D.R. angèlepaoli
Voir aussi : - (dans le Magazine de Zazieweb) Revue des revues V : La pensée de midi. Penser le monde méditerranéen : « Retrouver Palerme », par Angèle Paoli. |
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