L’Île-Rousse, Samedi 17 juillet 1909
Je lui montre du doigt une forme qui se profile le long du voilier. Louis ne voit rien, sinon la mer. Soudain la forme se profile à nouveau et je crie :
- « Louis, Louis, là ! Le monstre ! ».
Entretemps, les uns et les autres ont accouru, alertés par mes cris. Nous voilà tous accoudés au bastingage, épiant le large avec anxiété. Une silhouette immense, tout en longueur, file le long de notre embarcation. À la même vitesse que nous. Je n’en crois pas mes yeux. Elle file comme une flèche, droit devant elle, dans un mouvement parfaitement immobile, parfaitement rectiligne. Quelle étrange impression ! Je n’arrive pas à comprendre. Des nageoires dorsales énormes émergent des vagues. Louis, toujours muni de sa longue-vue, traque le « poisson » géant. L’instrument circule de main en main, mais, même à l’œil nu, il est possible de suivre la nage de l’animal marin. Louis avoue qu’il n’a jamais vu pareil spécimen. Un animal d’un autre âge venu des profondeurs insondables de la Méditerranée. Il a pourtant vu des veaux marins, des pieuvres et des congres énormes et même des requins, mais ce gigantesque saurien à nageoires triangulaires, comme hérissées sur son épine dorsale, ça jamais ! Louis me demande de faire un croquis. Je m’empresse d’aller chercher mon carnet et mon crayon pour griffonner grossièrement la forme de l’animal ! Mais il a disparu dans les flots. Cependant, comme je l’ai observé longtemps avec précision, je peux dessiner ses formes sur ma page blanche.
Cependant, les côtes du Cap Corse se sont rapprochées. Les lignes sont plus précises et je devine déjà les montagnes qui tombent en à-pic dans la mer. Je commence à apercevoir des paysages. Tout semble très sauvage; très découpé aussi. Une île minuscule, d’où émerge un phare, s’estompe sur l’horizon. Louis dit que c’est l’îlot de la Giraglia, un point au bout du Cap.
Voilà donc le Cap, aride et majestueux, tout en écueils, déchiqueté et inquiétant. Cela ne doit pas être très aisé d’y accoster. Pourtant, sur un fond d’écrin de verdure, s’étire un petit port ponctué d’îlots. C’est le port de Centuri, dit Louis. Nous ne nous y arrêterons pas. Peut-être au retour, à la fin de notre croisière, si le temps le permet. Louis me promet que nous viendrons « au Cap ». J’espère vraiment qu’il tiendra sa parole, car cette île dans l’île me semble bien mystérieuse et je ne sais pourquoi elle éveille à ce point mon attirance.
Les villages, accrochés à flanc de rocaille, sont peu nombreux et comme enserrés par le maquis. Il y a des tours aussi. On en distingue les arrondis en haut des promontoires. Certaines sont portant carrées, mais j’en ignore la raison. Il faudra que je me documente sur cette question. Cela m’intrigue. Peut-être rencontrerai-je à L’Île-Rousse quelque érudit qui pourra me renseigner et m’expliquer le pourquoi de ces différences dont j’ignore tout ?
SUITE, LE TOUR DE CORSE À LA VOILE, 10
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