Ph., G.AdC
8 FÉVRIER 1959
8 février 59 ! - Hélas, de quel mois est ce dernier 19 ? Je n’en sais rien parce que j’ai changé de cahier. Certainement d’il y a un mois, d’une lointaine époque. Et entre-temps que s’est-il passé ? Rien, sinon que je suis encore un peu plus abruti, et que mon vide intérieur devient de plus en plus vorace. Pas une ligne pour moi ni de moi, Pouchkine, et l’habituelle comédie de l’argent. Et puis non, il y a quand même eu deux ou trois événements presque réconfortants, mais avec une seule et unique conclusion. Et cette éternelle attente de quelque chose ! Maintenant je devrais partir, mais je ne peux pas le faire avant de… Je dois ? Je dois ni ne dois pas, je ne suis pas obligé et pourtant je n’ai pas le choix : voilà après tout une situation originale, et typique des gens de mon espèce (s’il en existe d’autres). Comme si entre devoir faire une chose et ne pas devoir la faire (c’est-à-dire ne pas y être contraint), il n’y avait pas, si l’on peut dire, de troisième alternative ; mais celui qui penserait ainsi montrerait qu’il ne connaît pas certains états particuliers, du reste naturels et permanents. Je vais m’expliquer : moi je ne pense évidemment pas et ne suis pas dans les limites du devoir ou du non devoir (toujours, comme plus haut, dans l’acception utilitaire, et non dans l’acception morale, du verbe), ou pour mieux dire encore, ce qui m’est utile, du moins l’évaluation que j’en fais, n’est pas relatif à quelque chose de bien défini, à un résultat bien déterminé. Il se passe en moi, plus ou moins consciemment, mais plutôt moins que plus, une perpétuelle destruction préliminaire des effets, de tous les effets possibles pour moi, presque tous donnés comme également vains, une façon de les exclure non seulement de la sphère des sentiments mais même de celle de l’être ; d’où l’inutilité des causes, et leur dissolution au moment même où elles commencent à se former. Et si tout effet possible est indifférent, toute cause doit aussi être indifférente, et tout se perd dans une sorte de fatalisme désespéré, ou plutôt d’agnosticisme, j’irais même jusqu’à dire de possibilisme, dans lequel on peut s’attendre à tout sauf au bien. En effet ce qui est indifférent vire en définitive vers ce qui est contraire. Mais quand le virage n’a pas lieu sur le moment je ne sais pas que faire ; la seule démonstration que je serais capable de fournir maintenant se trouve dans la phrase suivante, que j’ai écrite deux ou trois lignes plus haut, puis effacée, je ne sais pas pourquoi : « Et, quand je pars, si une fois au moins j’allais ou imaginais aller vers le mieux ! »
Tommaso Landolfi, Rien va [Rien va, diario, Firenze, Vallecchi, 1963], Éditions Allia, 1995, pp. 141-142. Traduction de Monique Baccelli.
Combien proches me semblent ces réflexions !
Et cette éternelle attente de quelque chose !
« Et, quand je pars, si une fois au moins j’allais ou imaginais aller vers le mieux ! »
Rédigé par : nobody | 17 février 2007 à 13:12