Le 12 février 1989 meurt à Gmunden (Haute-Autriche) l’écrivain et auteur dramatique autrichien Thomas Bernhard. Né à Heerlen (Pays-Bas) le 9 février 1931, Thomas Bernhard a écrit de nombreux romans qui font de lui l’un des plus importants écrivains de langue allemande : Gel, Perturbation, Le Neveu de Wittgenstein, Extinction, Maîtres anciens, publiés en France aux éditions Gallimard. Source C’EST LÀ QU’INTERVIENT L’ÉLÉMENT INFÂME « Un homme comme mon père, ai-je dit à Gambetti, épouse une femme et se prive ainsi de lumière. Ainsi il ne vit plus comme avant, mais ne fait plus que tâtonner maladroitement dans l’obscurité, ce dont se délectent les auteurs de cet assombrissement. Des gens comme mon père commencent par remettre une telle union ou même un tel mariage à plus tard, toujours plus tard, jusqu’à ce que tout à coup, parce qu’ils croient être perdus sans cela, et devenus un objet de risée, ils se précipitent dans le piège d’une femme rouée, qui, se refermant aussitôt, se révèle un piège mortel, ai-je dit à Gambetti. À la différence de mon oncle Georg, mon père était, par nature, fait pour le mariage, ai-je dit, mais jamais avec une femme comme ma mère. Il a épousé sa destructrice et traîtresse. Nous aimons naturellement notre mère, ai-je dit à Gambetti, mais nous voyons tout de même son ignominie et sa volonté de destruction. C’est là qu’intervient l’élément infâme, ai-je dit à Gambetti, l’élément moral devient ridicule. Mais l’exemple inverse existe aussi, naturellement : une femme entre en scène et sauve effectivement tout. Mais cette femme, notre mère, n’était autre que la destructrice. D’autre part, ai-je dit à Gambetti, il est bien possible que je pense ainsi alors que les choses se passent autrement, peut-être même à l’inverse, que sans cette femme, notre mère, le malheur qui a frappé Wolfsegg serait encore plus grand. Mon oncle Georg a très souvent appelé la situation qui s’est instaurée à Wolfsegg grâce à ma mère, sa plus grande chance. Mes comptes ont été entièrement réglés, a-t-il souvent dit. Et moi-même, je dois me dire que mes propres comptes ont été réglés pareillement. Pour finir il est probable que moi aussi j’aurais évolué tout autrement si Wolfsegg avait évolué autrement, c’est-à-dire sans ma mère, avec une autre femme de mon père. Je ne serais pas qui je suis si Wolfsegg était différent. Comme, dans l’ensemble, surtout avec la possibilité de vivre à Rome, je peux me définir comme un homme parfaitement heureux, ai-je dit à Gambetti, je n’ai aucune raison de parler sans cesse de Wolfsegg comme d’une catastrophe. Il se peut, ai-je dit ce jour-là à Gambetti, que ce soit tout de même à cause d’un sentiment de culpabilité, uniquement pour m’affranchir de Wolfsegg tel qu’il est, avec une brutalité assez marquée, je dois le reconnaître. Comme nous le savons, nous détestons ceux qui nous entretiennent, je déteste donc Wolfsegg plus ou moins pour cette raison, ai-je dit à Gambetti, car c’est bien Wolfsegg qui m’entretient, que j’y aie droit ou non, peu importe. Nous ne détestons tout de même que lorsque et parce que nous sommes dans notre tort. » Thomas Bernhard, Extinction, Un effondrement [Aulöschung Ein Zerfall, 1986], Gallimard, Collection Du Monde entier, 1990, pp. 70-71. Traduit de l'allemand par Gilberte Lambrichs. Ph., G.AdC |
■ Thomas Bernhard sur Terres de femmes ▼ → 22 septembre 1988 | Thomas Bernhard, Maîtres anciens ■ Voir aussi ▼ → 13 février 1989 | Vitaliano Trevisan, Il Ponte |
Retour au répertoire de février 2007
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs
Eh si! Il più grande. Il mio blog è dedicato a lui.
Rédigé par : ernesto | 14 février 2007 à 17:37
Ho visto, Ernesto. E' un po' duro, no, un blog completo su Wolfsegg ?
Rédigé par : Angèle Paoli | 14 février 2007 à 23:07