Les yeux levés vers la carte du ciel, le géographe fou invente à la nuit boréale des frontières exaltées. Girouettes et planisphères, astrolabes établis sur la mappemonde de ses extravagances, le sextant grand écart ouvert face à Orion, le maître es méridiens harangue la foule des paladins hâbleurs, confrontée aux noires incertitudes du temps. Lui, la poussière du retour, il la distille à l’acétylène, bleu de Mycènes encore teinté de l’or d’Agamemnon. Et moi, esclave enroulée au pied d’un sycomore, je l’écoute, bercée de tendres lallations. Lui, proclame à tous ceux qui veulent l’entendre l’attente éperdue du retour chaotique, la plainte enamourée des cadences mineures, la plongée improbable dans l’univers des notes silencieuses.
Il y avait là, réunis au pied de la tour aux ancrages secrets, des marins invaincus aux paletots d’ébène, des nègres saltimbanques aux muscles d’acajou, des femmes enivrées de salive et de sperme, des ondines baignées d’hydromels vénéneux. Il y avait plus loin des marchands de mensonges, enchaînés les pieds nus, et des magiciens doux aux barbes de bulgares. Un archet arrimé à ses cordes violines faisait jaillir du temps un ensemencement de sons indésirés. Caresses arrachées à la gorge des nuits. Les diseurs de distances arpentaient les coursives, tout en échafaudant des transes et en buvant. De fausses nymphes enfin, aguicheuses averties, aiguisaient leurs fossettes aux portes des bordels.
Soudain un souffle ocre transperce l’horizon. Des crinières ventées enflent les mers ombreuses, soulèvent en tourbillons les regards séditieux. Des idées de caresses se multiplient, embrasant les flancs bleus des monts ensorcelés. On vit alors, à l’orient de Tout, des oriflammes fous dériver en cadence, des tombes renversées par des foudres ottomanes, des femmes abandonnées aux dérives mortelles. Les sabres virevoltent en arabesques blêmes, arrachant aux princesses-célestes, aux faunes des ruisseaux, aux belles détroussées, hurlements syncopés mêlés de cris d’amour. Et moi, crispée dans ma détresse, je virevolte nue dans les airs en saccage, infestés de chair rance et coquillages morts.
Angèle Paoli
D.R. angèlepaoli
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un fond sonore d'oud et de mizmar a accompagné cette lecture...
il a souligné les syllabes, les mots, les phrases
en un "crescendo" qui s'est "crispé" dans la scène finale.
je t'embrasse amicalement, ma chère Angèle.
Rédigé par : madeinfranca | 28 janvier 2007 à 08:28