Menton, mercredi 14 juillet 1909 (suite)
Lorsque nous rentrons à bord du voilier, les deux inséparables viennent tout juste d’arriver. Elles ont fait leurs emplettes à Monte-Carlo et sont ravies de leur échappée !
- « Devinez donc qui nous avons croisé dans les rues de Monte-Carlo ? »…
Elles rient et se lancent des œillades complices. Elles déambulent sur le pont, arborant une démarche chaloupée. Elles se déhanchent tout en faisant mine de tirer sur un long porte-cigarette en écaille. L’une s’enroule dans un boa de plumes qu’elle rejette sur ses épaules ; l’autre lance sa jambe très haut, tout en se cabrant, poitrine en avant, faisant valser ses jupons autour de sa taille.
- « Alors, vous ne devinez pas ? Vous donnez votre langue au chat ? »
Caroline lance un nom au hasard :
- « Yvette Guilbert », crie-t-elle.
- « Ah, tu brûles, tu brûles ! » lancent en chœur les deux mignonnes gigolettes.
Mais ce n’est pas elle. Caroline hausse les épaules :
- « ’sais pas! »
Les inséparables, déçues de ne pouvoir prolonger le jeu, disparaissent en sifflotant. Elles vont se changer dans leur cabine pour troquer petits chapeaux à épingles et talons hauts, robes de ville corsetées et froufrous, contre une tenue plus adaptée pour la soirée à bord. Je me demande bien ce qu’elles complotent, ces deux coquines ! Lorsqu’elles reviennent sur le pont, Caroline leur lance :
- « Mistinguett ! »
- « Hourra, bravo Caroline ! ».
- « Et Max Dearly, il était là lui aussi ? »
Il était peut-être là, mais elles ne l’ont pas vu.
- « Oh, dommage, je le préfère à Mistinguett, il est bien plus séduisant qu’elle ! »
- « Affaire de goût », lancent les deux filles qui s’enlacent dans une valse chaloupée puis s’éclipsent vers le Moulin Rouge de leur cabine dans un nuage virevoltant de fanfreluches.
Du voilier, nous sommes au premier rang de loges pour le feu d’artifice qui monte vers le ciel depuis la jetée. Les pétards fusent de tous les côtés à la fois. Il semble que le port entier soit embrasé. Des gerbes multicolores montent vers le ciel et retombent en une pluie étoilée qui se noie dans l’eau d’encre, semant sur son friselis argent des milliers de papillons d’or. Nous poussons des ho et des ha de ravissement tout en applaudissant à la féerie de la nuit ! Quand appareillerons-nous pour la Corse ?
SUITE, LE TOUR DE CORSE À LA VOILE, 8
RETOUR VERS L'AVANT-PROPOS de ce Journal de croisière de la Belle Époque
Etrange coïncidence votre voilier d'écriture (votre écriture, j'ose) et mon voilier de lecture. Votre voilier habité comme celui que j'ai habité pendant quelques jours. Vos compagnons de voyage et mon oiseau solitaire de passage.
Connaissez-vous ce livre ? La Longue Route de ce marin, Bernard Moitessier.
Je me disais que ces deux époques et ces deux navires étaient bien différents l'un de l'autre mais enfin... la mer, la mer est unique, quand bien même à plusieurs noms, elle est unique et c'est elle qui nous réunit. C'est parfois pour cette raison que je dis assez facilement lorsque j'écris sur mon petit écran que j'envoie une bouteille à la mer. Geste d'espoir lucide. Geste avant tout, qui fait bouger le bras et peut-être un peu le monde.
Rédigé par : Cordesse | 24 janvier 2007 à 21:58