Menton, mercredi 14 juillet 1909 (suite)
Il est encore tôt dans l’après-midi du dimanche lorsque nous arrivons à Menton. Louis de Beaujeu, qui a revêtu son costume de ville et son canotier crème, nous propose une promenade au cap Martin. Bérénice, remise de ses émotions, accepte l’invitation. Aucun d'entre nous ne connaît la ville et c’est un plaisir d’en découvrir ensemble les charmes. Je m’extasie devant les pêcheurs qui réparent leurs filets, assis, pieds nus, au milieu des nasses. Bérénice sourit de la naïveté de mes remarques, qui m’attire quelques pointes moqueuses, au demeurant bien méritées. Nous nous éloignons du port pour nous engouffrer dans des venelles bordées de maisons hautes aux jalousies mi-closes. Une végétation luxuriante déferle sur les murs blancs, tachetés de couleurs. Je me sens grisée par tant de beauté. Je voudrais retenir dans ma mémoire jusqu’au moindre détail. J’espère qu’elle ne me fera pas faux bond.
Tard dans la soirée, nous rejoignons notre voilier. Chacun se retire dans ses appartements, si l’on peut dire, compte tenu de l'exiguïté des lieux. J’ai moi-même déménagé mon matelas du salon où je dormais, pour m’installer dans une cabine plus fraîche et plus spacieuse que les autres. Avec vue sur la mer. Je me réjouis de ces nouveaux aménagements.
Lundi et mardi, nous sommes restés à quai. Deux journées de repos bien méritées. Mais, hier, nous n’avons pu résister à l’attrait de la flânerie dans la ville de Menton. Je ne me lasse pas de ces ruelles, de ces parfums. À onze heures, nous sommes allés chercher notre courrier à la poste. Puis nous avons longuement flâné dans les vieux quartiers, à l’arrière du marché, à la recherche d’une mercerie. Nous avons fini par dénicher ce que nous cherchions. Un comptoir avec tout un assortiment de passementerie et de taffetas de couleur claire. Bérénice a acheté toutes sortes de fournitures pour confectionner un déshabillé à Caroline, sa jeune nièce, qui, trouvant le mien fort joli, en voulait un à l’identique. Revenus à bord de La Sarrasine en fin de matinée, nous avons passé une partie de l’après-midi à tailler l’étoffe, à faire des ourlets, à ménager des volants et à coudre boutons et rubans. Le pont, provisoirement transformé en atelier de couture, était envahi de chutes de tissus. Caroline, ravie, rajoutait encore à ce désordre et houspillait sa tante pour faire avancer l’ouvrage ; mais Bérénice ne l’entendait pas ainsi et s’est mise en devoir de hausser la voix pour calmer les ardeurs capricieuses de notre jeune demoiselle.
En fin d’après-midi, après tout ce charivari, nous sommes à nouveau descendus à quai. Nous nous sommes rendus à Garavan, puis avons poussé jusqu’au pont Saint-Louis, à la limite de la frontière ligure. De là, on jouit d’une vue superbe sur l’ensemble de la ville de Menton et sur le cap Martin. À l’arrière, la montagne dresse sa muraille haute. La ville se trouve ainsi prisonnière et de la mer et de la montagne. De l’autre côté du pont, c’est l’Italie. De jolies fillettes couraient pieds nus sur la promenade suspendue. Elles nous ont vu arriver et, pensant que nous allions franchir le pont, elles ont redoublé de coquetterie. Elles se cachaient derrière les piliers puis ressurgissaient en arborant leurs plus beaux sourires, mais elles étaient bien trop timides pour se laisser davantage approcher. Nous les abandonnons à leurs jeux et prenons le tram jusqu’à la vieille ville. Nous traversons des quartiers pittoresques et des ruelles biscornues avec escaliers escarpés, coudes et arcades. Bérénice de Beaujeu veille à ne pas poser les pieds n’importe où, tant elle appréhende de salir ses bottines ! Il faut dire que les trottoirs ne sont pas très propres ! Toutefois, la crasse environnante ne semble pas gêner les vieux assis à califourchon sur leurs chaises en paille. Les langues vont bon train pour la petite causette du soir à la fraîche. Sans doute les vieux marins refont-ils le monde à leur façon. On se croirait déjà en Italie. Je me demande à quoi peut bien ressembler la Corse et si elle a des airs de famille avec la péninsule, sa proche cousine ?
SUITE, LE TOUR DE CORSE À LA VOILE, 6
RETOUR VERS L'AVANT-PROPOS de ce Journal de croisière de la Belle Époque
Lire ces lignes insouciantes au mois de janvier alors que la grisaille ambiante s'éternise.... C'est quand l'été ????
Amitiés
Rédigé par : Pascale | 04 janvier 2007 à 12:20
bonjour et bravo
ce site est très intéressant
merci et que cette année nouvelle soit remplie de bonheur et de joies
Bernard
Rédigé par : bernard | 04 janvier 2007 à 14:34
BONNE ANNÉE 2007!
Rédigé par : ângela | 05 janvier 2007 à 23:41
Quand les mots se font vie
plus besoin d'images
ce bateau on le voit s'animer de ces femmes sérieusement occupées
à coudre leur voyage
Rédigé par : Viviane | 13 janvier 2007 à 10:23