MARDI 10 JANVIER 2007. LAURENCE MAUGUIN : LIBRE PAROLE.
J’ai rencontré pour la première fois Laurence Mauguin en mars 2006, par l’entremise de
Françoise Jones, qui m’avait conviée à la lecture d’un de ses derniers recueils,
Vert pourtant d'une nuit dormante. Depuis lors,
Terres de Femmes a mis en ligne des poèmes de
Emanuela Burgazzoli,
Annick Ranvier, et
Martin Ziegler, tous trois également édités par Laurence Mauguin, qui fête en ce mois de janvier le
dixième anniversaire de sa maison d’édition.
À l'occasion d'un séjour parisien, j’ai demandé à Laurence Mauguin si elle acceptait de me consacrer un peu de son temps afin de faire plus ample connaissance. Et si elle m’autorisait à mettre au jour quelques-uns de ses secrets de travail. Nous avons passé ensemble, au mitan de l'après-midi, au
premier étage de sa librairie, un moment délicieux. J'en retranscris ci-dessous l’essentiel.
A.P.
La librairie de Laurence Mauguin, un lieu aussi protégé et original que ce que vous êtes ?
« J’essaie de faire quelque chose qui soit protégé, mais aussi qui me ressemble. Je n’aime pas m’exposer. Je préfère vivre et faire quelque chose qui ait un sens. J’ai choisi le domaine de la poésie. Au début, j’ai travaillé sur des textes littéraires un peu atypiques, un peu entre deux genres. Mais très vite, au bout de deux ou trois ans, j’ai senti que je ne trouvais plus là la matière qui m’intéressait vraiment. J’ai eu le sentiment d’avoir épuisé tout ce que je pouvais trouver d’original dans le champ du récit, fût-il poétique. En revanche, dans le domaine du poème, j’ai découvert des écritures qui me semblaient vraiment belles, et qui me touchaient énormément. Je me suis concentrée là, sur la poésie.
Quant au lieu, j’essaie de le faire ressembler aux textes que je publie, des textes poétiques assez épurés (certains diront qu’ils sont abstraits, voire difficiles à saisir). Je cherche à mettre ce lieu en accord avec les textes tout en le souhaitant accueillant. J’essaie d’y maintenir une symétrie entre textes et peinture. Rien ici de superflu, rien qui gêne ou qui soit en trop, afin que chacun se sente libre. Un lieu qui laisse l’imagination vagabonder. En même temps, je ne veux pas que le lieu soit froid. Je veille à ce qu’il soit vivant.
Pour moi, il est important d’avoir un lieu, parce que j’aime rencontrer les gens. J’aime leur parler des livres, avoir un contact avec les personnes qui lisent. Les librairies, c’est bien, mais cela ne me suffit pas parce que j’ai envie d’avoir du retour sur les textes que je publie. Je suis heureuse quand les lecteurs reviennent et que l’on parle des textes ensemble. Pour moi, le contact est plus qu’important. Il est primordial. C’est aussi pour cela que j’organise des lectures et des débats avec le public.
Ne seriez-vous pas une incorrigible utopiste ?
Je viens de franchir la barre des dix ans en janvier. Et j’en suis vraiment très contente. Quand je me suis lancée dans cette aventure, beaucoup m’ont découragée en me disant qu’un projet comme celui-là ne tiendrait pas plus de six mois. La plupart étaient de « vrais amis », que je ne vois plus d’ailleurs. L’amitié, celle en laquelle je croyais, cela aurait été de me soutenir même si mon projet paraissait irréalisable. C’est très important pour moi ces dix ans. Symboliquement, c’est très fort. Ceci dit, rien n’est jamais définitivement gagné. L’entreprise qui est la mienne est fragile. Les gens qui s’intéressent à la poésie ne sont pas si nombreux. Mais le choix de la poésie est essentiel pour moi : la poésie m’aide à avancer. Ce choix répond aussi à un besoin de me confronter à la difficulté ; à mes propres difficultés en même temps qu’à des choses difficiles.
J’aurais procédé de la même façon si j’avais eu à m’exprimer dans un autre domaine que celui de l’édition. Me conformer à l’air du temps ne me convient pas. Je ne me sens pas en adéquation avec ce monde. Ce qui me gêne souvent, à notre époque, c’est que l’on oublie le but pour lequel on entreprend une recherche. L’outil, pour moi, n’est pas un but en soi, il est là pour conduire à autre chose, pour permettre de chercher, de chercher dans le but de comprendre.
Ce qui m’effraie aujourd’hui, c’est que l’on oublie que le vrai but, c’est la vie. Je ne conçois pas qu’avec notre degré d’évolution, on en soit encore à tant de violence. Nous sommes des êtres qui avons la chance de penser et en même temps nous sommes ceux qui détruisons le plus. Et plus ça va, pire c’est, dans la mesure où l’on découvre des moyens encore plus forts pour détruire, et où l’on est de plus en plus nombreux à le faire. Cela m’effraie terriblement. On aurait tellement à donner, au contraire, tellement à faire pour améliorer l’existence de chacun. Je crois en effet que je suis une incorrigible utopiste. Pour moi cela donne du sens à la vie d’imaginer ce qui pourrait être autre. C'est pourquoi j'ai choisi la poésie, et j’essaie de faire là ce que je peux, à mon niveau. Avec mes forces, mon rythme et selon ma conviction. Il se peut que je me trompe à certains endroits, mais en tout cas, ce n’est pas dans une tentative de faire des concessions. Il faut alors rectifier les positions. Je me sens très engagée par rapport à mon travail, et à la réflexion à mener sur ce travail pour le faire évoluer.
Laurence Mauguin, une éditrice ?
Une, oui, puisque je suis toute seule pour tout faire, même si les auteurs ont pris petit à petit une part plus importante dans l’entreprise qui est la mienne. Nombre d’entre eux me conseillent, me proposent d’autres auteurs. Je lis des textes que je choisis ensuite de publier ou non. Je travaille aussi à la revue de poésie contemporaine que j’ai créée, et qui s’intitule Pas,. Elle a trois numéros à son actif. Je prépare le quatrième. Pas, avec une virgule. Ce qui est déterminant dans ce mot, c’est son double sens, de négation et de pas que l’on fait sur la lancée. « Pas » est un mot qui revient souvent chez de nombreux auteurs. Il a une place importante dans l’écriture contemporaine. Je l’ai choisi pour cette raison. Le but de cette revue, c’est de faire, une fois l’an, une sorte de panorama des rencontres les plus intéressantes que j’ai pu avoir avec des poètes en Europe. Je me limite à l’Europe, ne connaissant pas suffisamment les autres cultures. Et puis, je n’ai pas non plus les relais qui me permettraient d’aller chercher plus loin que cela. Je ne connais évidemment pas toutes les langues européennes. Ce sont des personnes en qui j’ai confiance qui me proposent des textes et me font des morceaux de traduction. Après, je peux choisir. J’encourage des gens qui ont déjà été publiés à me proposer des auteurs qu’ils ont découverts, qu’ils aiment et dont ils estiment qu’ils ont leur place chez moi.
Mon travail commence avec la lecture du manuscrit. Je prépare ensuite le texte avec l’auteur. Je n’interviens jamais sur le texte mais il peut m’arriver de formuler des réticences, de dire que je trouve tel poème plus faible que tel autre, d’indiquer des pistes d’un éventuel travail de peaufinage, mais je n’interviens jamais sur le texte au-delà de ça. Je fais ensuite tout le travail de mise en page, sur ordinateur. Pour l’impression, je vais dans un atelier numérique. J’ai choisi cette technique contemporaine qui me permet de faibles tirages, et retirages. Ensuite, je façonne mes planches imprimées entièrement à la main, dans mon atelier. Je plie, je couds, je broche, j’imprime les couvertures en sérigraphie. Après quoi, il reste à faire connaître ces livres. Il faut rendre visite aux libraires qui me semblent importants pour ce type d’ouvrages. Mais il n'y en a plus tant que cela. Des libraires qui ont un petit rayon poésie, il en existe bien sûr, mais des libraires qui font un vrai travail tout au long de l’année, c’est beaucoup plus rare. Il faut toujours inventer de nouvelles propositions par rapport aux libraires, parce qu’ils sont eux-mêmes en difficulté et que l’on ne peut tout attendre d’eux. La poésie, cela prend du temps, ça se diffuse au fil du temps, et eux ont besoin que les choses aillent vite. Récemment, j’ai proposé à certains d’entre eux de me recevoir une fois l’an et de faire une vitrine ou un coin de table avec mes ouvrages pendant trois semaines. Ça fonctionne bien, parce que, à partir du moment où l’on parle de ces livres, on les vend.
À Paris, je travaille avec Tschann (Bd du Montparnasse), avec Anima (aux Abbesses), avec la Librairie des Prés (rue Echaudé), équipages (rue de Bagnolet dans le 20ème). Ça, ce sont les réguliers. Ponctuellement, il y en a davantage sur Paris ; assidûment, non. En province, il y a, à Marseille, L’Odeur du temps, à Grenoble, Bonnes Nouvelles, Kléber à Strasbourg. Sur toute la France, il y a quinze ou vingt librairies avec lesquelles je travaille tout au long de l’année. En Belgique, à Bruxelles, il y a la librairie Tropismes. Mais c’est un circuit très réduit. Il est donc essentiel d’avoir un lieu propre pour que les choses existent. En définitive, c’est beaucoup moi qui fais déplacer les gens. Et Paris, pour ça, reste un lieu assez fascinant. Je rencontre ici quantité de gens de toute l’Europe (Allemagne, Grèce, Irlande, Italie, Suisse…) que je ne pourrais approcher si j’étais en province. Il y a des personnes qui viennent et que ce lieu inspire pour leur propre création, pas seulement des auteurs et des peintres, mais aussi des philosophes, des compositeurs, des chorégraphes… Et ils reviennent régulièrement. C’est intéressant, ces conversations qui se poursuivent et évoluent sur plusieurs années. Mais toutes les journées ne sont pas également porteuses. Il y a aussi les jours creux. Ce n’est pas pour autant qu’ils sont vides. Faire les livres de façon artisanale, cela me prend beaucoup de temps. J’ai toujours une pile de livres à coudre, des recherches à effectuer, des textes à lire. Je travaille avec Internet, j’essaie de voir ce dont parlent les autres. Je rencontre d’autres personnes, auteurs et peintres.
Mais Laurence Mauguin, vous êtes aussi une galeriste ?
Petit à petit m’est venue l’idée de faire des expositions ici. J’ai découvert que j’aimais la peinture contemporaine. C’est une découverte récente, qui date d’une quinzaine d’années à peine. Il y a une cohérence entre ce que je montre et ce que je publie. Des choses plutôt abstraites, mais avec un lien assez fort à la matière, à la nature, à la minéralité. J’ai appris, en regardant et en m’autorisant ce que j’aime : des images souvent très épurées. J’expose vraiment depuis cinq ans, en privilégiant les techniques sur papier. Au début, ces expositions étaient une forme d’illustration des textes publiés. Aujourd’hui, c’est un travail réfléchi mené parallèlement à celui de l’édition. J’essaie de devenir aussi galeriste. Il faut constituer son fichier d’amateurs, apprendre à planifier les expositions, apprendre à organiser l’espace pour servir au mieux l’artiste…
Paule Riché
Sans titre,
Encre sur papier et pigment, 20 x 18 cm
Je choisis le plus souvent des petits formats, parce que je ne dispose pas d’un grand espace, mais aussi en raison de la concentration qu’ils supposent. Ce sont des tableaux qui disent de grandes choses, en petit. Ce n’est pas réducteur. C’est le cas des dessins de Michèle Clancy, par exemple, présente aujourd’hui dans la galerie.
Le plus souvent, les artistes viennent à moi. Les artistes qui sont en démarche d’écriture ou de peinture savent qu’ils peuvent trouver là un endroit pour les accueillir. Ils me présentent un échantillon de leur travail. Si cela correspond à ma propre démarche, je retiens les tableaux ou les manuscrits. Je ne veux pas me disperser et la peinture que je montre est en adéquation avec la poésie que j’édite. Les deux modes d’expression exigent le même degré de concentration. De sorte que les personnes qui viennent voir les tableaux sont aussi très curieuses de la poésie que je publie.
Parmi les projets à venir, il y a, prévue pour le mois de mars, une exposition des dessins de Xavier Dandoy de Casabianca, éditeur des Éditions Éoliennes.
Et Laurence de conclure :
« Une journée où l’on a un petit peu avancé est une journée de gagnée. »
Au terme de notre entretien, j’ai demandé à Laurence de choisir un ouvrage de poésie. Elle a cueilli sur les rayonnages, dans sa belle et sobre collection bleu marine, Chemins à fleur autrement blancs, de Martin Ziegler.
Elle a lu pour moi :
« maintenant que le soir s’incline
plus
vite sur les feuilles
et tombe sur le chemin encore
noir
au loin et moins vite
sur ce qui disparaît
contre l’insistance des murs
tout est uni et sans front les arbres
dans leurs habits d’éclair
la rivière tente une route »
Martin Ziegler, Contre l’horizon, in Chemins à fleur autrement blancs, Éditions L. Mauguin, 2000, page 8.
Angèle Paoli
D.R. Texte Laurence Mauguin/angèlepaoli
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