Le 25 janvier 1958 naît à Turin Alessandro Baricco.
Philosophe et musicologue, auteur d’ouvrages de critique, Alessandro Baricco est reconnu en France pour sa fulgurante carrière d’homme de lettres. Son premier roman, Châteaux de la colère (1991), récompensé par de prestigieux prix italiens, a été couronné, en 1995, par le prix Médicis étranger. Océan mer (1993), récompensé par le prix Viareggio, Soie (1996) et Emmaüs (2009) ont été traduits dans le monde entier.
En 1994, Baricco écrit un texte pour un comédien, Eugenio Allegri, et un metteur en scène, Gabriele Vacis. Il intitule ce monologue Novecento. Un monologo, traduit en français par Françoise Brun sous le titre Novecento : pianiste.
Photocollage, G.AdC
EXTRAIT
(Orchestre au premier plan.)
« Croyez-moi, des bateaux comme celui-là, vous n’en trouverez pas d’autre: peut-être, en cherchant pendant des années, pourriez-vous retrouver un capitaine claustrophobe, un pilote aveugle, un radio qui bégaye, un docteur au nom imprononçable, tous réunis sur le même navire, et pas de cuisines. Peut-être. Mais ce qui ne vous arrivera plus jamais, ça vous pouvez en jurer, c’est d’être assis là, le cul posé sur dix centimètres de fauteuil au-dessus de plusieurs centaines de mètres cubes d’eau, en plein milieu de l’Océan, avec ce miracle devant vos yeux, cette merveille dans vos oreilles, ce rythme dans vos pieds et, dans votre cœur, le sound de l’unique, de l’inimitable, de l’immensément grand ATLANTIC JAZZ BAND !!!!!
(Orchestre au premier plan. Le comédien présente les instrumentistes l’un après l’autre. À chaque nom succède un bref solo. )
À la clarinette, Sam "Sleepy" Washington !
Au banjo, Oscar Delaguerra !
À la trompette, Tim Tooney !
Trombone, Jil Jim "Breath" Gallup !
À la guitare, Samuel Hockins !
Et enfin, au piano… Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento.
Le plus grand.
(La musique s’interrompt brusquement. Le comédien abandonne son ton de présentateur et, tout en continuant de parler, enlève son uniforme de musicien.)
Il l’était vraiment, le plus grand. Nous, on jouait de la musique, lui, c’était autre chose. Lui, il jouait… quelque chose qui n’existait pas avant que lui ne se mette à le jouer, okay ? Quelque chose qui n’existait nulle part. Et quand il quittait son piano, ça n’existait plus… ça n’était plus là, définitivement… Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. La dernière fois que je l’ai vu, il était assis sur une bombe. Sans blague. Il était assis sur une charge de dynamite grosse comme ça. Une longue histoire… Il disait : « Tu n’es pas vraiment fichu, tant qu’il te reste une bonne histoire, et quelqu’un à qui la raconter. » Son histoire, à lui… c’était quelque chose. Il était sa bonne histoire à lui tout seul. Une histoire dingue, à vrai dire, mais belle… Et ce jour-là, assis sur toute cette dynamite, il m’en a fait cadeau. Parce que j’étais son meilleur ami… J’en ai fait des conneries. On me mettrait la tête en bas que rien ne sortirait de mes poches, même ma trompette, je l’ai vendue, j’ai tout vendu, quoi, mais cette histoire-là, limpide et inexplicable, comme seule la musique pouvait l’être quand elle était jouée, au beau milieu de l’Océan, par le piano magique de Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento.
(Le comédien se dirige vers les coulisses. On entend l’orchestre qui recommence à jouer, pour le final. Quand le dernier accord s’éteint, le comédien revient sur scène.)
C’est un marin appelé Danny Boodmann qui l’avait trouvé. Il le trouva un matin, alors que tout le monde était descendu, à Boston, il le trouva dans une boîte en carton. Il devait avoir dans les dix jours. Il ne pleurait même pas, il restait là sans faire de bruit, les yeux ouverts, dans sa grande boite. Quelqu’un l’avait laissé dans la salle de bal des premières classes. Sur le piano. Mais il n’avait pas l’air d’un nouveau-né de première classe. C’est les émigrants qui font ça, en général. Ils accouchent à la sauvette, quelque part sur le pont, et ils laissent le gosse là. Pas qu’ils soient méchants, non. Mais c’est la misère, la misère noire […]
Bon, bref. Le vieux Boodmann le trouva là, et chercha quelque chose disant qui il était, mais il ne trouva qu’une inscription, sur le carton de la boîte, imprimée à l’encre bleue : T.D. Limoni. Il y avait même une espèce de dessin, avec un citron. Bleu lui aussi. Danny, c’était un nègre de Philadelphie, un géant d’homme, magnifique à voir. Il prit le bébé dans ses bras et lui dit : « Hello Lemon ! ». Et quelque chose à l’intérieur de lui se déclencha, quelque chose comme la sensation qu’il était devenu père. Pendant tout le reste de sa vie, il continua à prétendre que T.D., ça voulait dire évidemment Thanks Danny […] Je l’ai trouvé la première année de ce foutu nouveau siècle, non ? : on va l’appeler Novecento, Mille-neuf-cents. - Novecento ? - Novecento. - Mille-neuf-cents. - Mais c’est un chiffre ! - C’était un chiffre : à partir de maintenant, c’est un nom. » Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. C’est parfait. C’est magnifique. Un sacré grand nom, Christ, vraiment, un grand nom. Il ira loin, avec un nom comme ça. Ils se penchèrent sur la boîte en carton. Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento les regarda et sourit : ils en restèrent babas: ils n’auraient jamais cru qu’un môme aussi petit puisse faire autant de merde.
Alessandro Baricco, Novecento : pianiste, Mille et unes nuits, mars 1999, pp. 19-26.
« Credetemi, non ne troverete altre di navi cosi: forse, se cercherete per anni ritroverete un capitano claustrofobico, un timoniere cieco, un marconista balbuziente, un dottore dal nome impronunciabile, tutti sulla stessa nave, senza cucine. Può darsi. Ma quel che non vi succederà più, potete giurarci, è di stare lì seduti col culo su dieci centimetri di poltrona e centinaia di metri d’acqua, nel cuore dell’Oceano, con davanti agli occhi il miracolo, e nelle orecchie la meraviglia, e nei piedi il ritmo e nel cuore il sound dell’unica, inimitabile, infinita, ATLANTIC JAZZ BAAAAAND !!!!!
(Band in primo piano. L’autore presenta gli strumentisti a uno a uno. A ogni nome segue un breve assolo)
Al clarinetto, Sam "Sleepy" Washington !
Al banjo, Oscar Delaguerra !
Alla tromba, Tim Tooney !
Trombone, Jim Jim "Breath" Gallup !
Alla chitarra, Samuel Hockins !
E infine, al piano… Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento.
Il più grande.
(La musica si interrompe bruscamente. L’attore abbandona il tono di presentatore, e, parlando, si toglie la divisa di musicista)
Lo era davvero, il più grande. Noi suonavamo musica, lui era qualcosa diverso. Lui suonava… Non esisteva quella roba, prima che la suonasse lui,okay ?, non c’era da nessuna parte. E quando lui si alzava dal piano, non c’era più…e non c’era più per sempre… Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento. L’ultima volta che l’ho visto era seduto su una bomba. Sul serio. Stava seduto su una carica di dinamite grande così. Una lunga storia… Lui diceva : « Non sei fregato veramente finché hai da parte una buona storia, e qualcuno a cui raccontarla ». Lui l’aveva una… buona storia. Lui era la sua buona storia. Pazzesca, a ben pensarci, ma bella… E quel giorno, seduto su tutta quella dinamite, me l’ha regalata. Perchè ero il suo più grande amico, io… E poi ne ho fatte di fesserie, e se mi mettono a testa in giù non esce più niente dalle mie tasche, anche la tromba mi sono venduto, tutto, ma… quella storia, no… quella non l’ho persa, sta ancora qui, limpida, inspiegabile come solo era la musica quando, in mezzo all’Oceano, la suonava il pianoforte magico di Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento.
(L’attore si avvia dietro le quinte. In audio riparte la band, per il finale. Quando si spegne l’ultimo accordo, l’attore rientra in scena)
A trovarlo era stato un marinaio che si chiamava Danny Boodmann. Lo trovò un mattino che erano già tutti scesi, a Boston, lo trovò in una scattola di cartone. Avrà avuto dieci giorni, non di più. Nanche piangeva, se ne stava silenzioso, con gli occhi aperti, in quello scatolone. L’avevano lasciato nella sala da ballo della prima classe. Sul pianoforte. Non aveva l’aria però di essere un neonato di prima classe. Quelle cose le facevano gli emigranti, di solito. Partorire di nascosto, da qualche parte del ponte, e poi lasciare lì i bambini. Mica per cattiveria. Era miseria, quella, miseria nera […]
Comunque. Il vecchio Boodmann lo trovò là, cercò qualcosa che dicesse chi era, ma trovò solo una scritta, sul cartone della scatola, stampata con inchiostro blu : T.D. Limoni. C’era anche una specie di limone. Blu anche lui. Danny era un negro di Philadelphia, un gigante d’uomo che era una meraviglia. Pigliò il bambino in braccio e gli disse « Hello Lemon » ! E gli scattò qualcosa dentro, qualcosa come la sensazione che era diventato padre. Per tutta la vita continuò a sostenere che quel T.D. significava evidentemente Thanks Danny […] « L’ho trovato nel primo anno di questo nuovo, fottutissimo secolo, no ? : lo chiamerò Novecento. » « Novecento ? » « Novecento. » « Ma è un numero ! » « Era un numero : adesso è un nome. » Danny Boodmann Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento.
È perfetto. È bellissimo. Un gran nome, cristo, davvero un gran nome. Andrà lontano, con un nome così. Si chinarono sulla scatola di cartone. Danny Boodmann Danny Boodmann T.D. Lemon Novecento li guardò e sorrise : loro rimaserò di stucco : nessuno si aspettava che un bambino così piccolo potesse fare tutta quella merda. »
Alessandro Baricco, Novecento. Un monologo, Feltrinelli, Universale Economica Feltrinelli, 1994, pp. 16-21.
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cette musique, c'est les collines, c'est l'ombre sur la lumière,
feuilles, feuilles, tournées lentement, c'est le froid de l'hiver,
nuit qui tombe, tourne,
tourne,
page d'un jour, l'extrait musical du jour
Rédigé par : Cordesse | 26 janvier 2007 à 18:54
Merci à vous Cordesse. Voici le poème, en italien, de style maniériste.
"Canta la cicaletta
Quand'è 'l Sol più cocente,
E si more cantando e non lo sente.
Io canto, e vivo,
E pur sento nel core
Di lei caldo maggiore.
Così vuole il mio fato,
S'io morissi cantando,
O me beato.
Muove Orfeo l'empia Dite;
Piange, prega e sospira
Et impetra pietate al suon di lira:
Io piango e prego una crudele e bella,
D'amor troppo rubella.
Così vuole il mio fato,
S'io morissi cantando,
O me beato."
B. Saracelli, XVIIe s. (av. 1638)
Rédigé par : Angèle Paoli | 26 janvier 2007 à 23:43