Menton, mercredi 14 juillet 1909 (suite)
Je relis mes premières notes. Je les parsème de commentaires que j’avais veillé à consigner ailleurs.
Nous avons accosté dimanche matin dans le port de Cannes et avons eu le temps d’assister à la messe de sept heures à Notre-Dame-du-Bon-Voyage. Mais notre départ pour Menton a été retardé par un incident imprévu qui nous a fait frôler la tragédie. À peine avions-nous hissé les voiles et quitté le port, nous avons aperçu droit devant nous une chaloupe – l’Hirondelle – d’où partaient de grands signes. J’ai pensé un moment que les gens qui se trouvaient à bord agitaient la main pour nous saluer au passage, comme c’est l’usage entre voyageurs qui se croisent en mer. Balancée par la houle, l’embarcation faisait du surplace. Et comme les gestes de ses occupants devenaient de plus en plus insistants, Louis de Beaujeu, les mains en porte-voix, s’est écrié : « Voulez-vous du secours ? ».
Inquiet, notre maître de bord n’a pas attendu la réponse et s’est lancé dans des manœuvres délicates et précises afin que La Sarrasine se rapproche de L’Hirondelle, qui donnait des marques évidentes de détresse. J’ai alors commencé à distinguer les visages de naufragés aux regards implorants. Il y avait là des hommes, des femmes et des enfants, blêmes et hagards, qui se pressaient les uns contre les autres, au risque de faire chavirer la chaloupe. Louis de Beaujeu a tout aussitôt envoyé un cordage que l’un d’entre eux s’est empressé d’attacher au mât brisé. Lentement La Sarrasine a remorqué L’Hirondelle jusqu’au port. Louis venait de sauver pas moins de vingt personnes.
Bérénice de Beaujeu est bouleversée et ses nerfs fragiles ont été mis à rude épreuve. Il a fallu lui donner les sels et la mettre au repos. Très attentionné, Louis l’a entourée de soins constants et elle s’est bientôt endormie, apaisée, dans sa cabine. Moi-même, je me suis senti sur le point de défaillir, mais j’ai tenu bon et j’ai chassé les images tourmentées des belles naufragées qui se présentaient à mon esprit. Mon imagination romanesque me joue souvent des tours et je m’efforce de lui imposer le silence et de la mettre sous le boisseau.
Je m’absorbe dans mes cahiers et dans la beauté du ciel tandis que La Sarrasine reprend sa route vers Menton. Je prends conscience aux secousses soudaines qui agitent notre voilier que la mer est devenue plus capricieuse. Cela n’est pas pour me rassurer. Fort heureusement, à peine dépassée l’île Sainte-Marguerite, un vent arrière nous a poussés et nous avons filé à vive allure.
Je redécouvre non sans étonnement chez Bérénice l’état de rêverie qu’à plusieurs reprises j’ai observé chez elle. Un état que je ne lui connaissais pas jusqu’alors. Un je ne sais quoi d’éperdu et d’inquiet qui erre dans son regard. À dire vrai, Bérénice m’intrigue et je me promets de percer son secret. Mais il me faut faire preuve de vigilance. Serai-je assez prudente pour ménager sa susceptibilité et ne pas éveiller sa suspicion ?
SUITE, LE TOUR DE CORSE À LA VOILE, 5
RETOUR VERS L'AVANT-PROPOS de ce Journal de croisière de la Belle Époque
il faisait froid et l'oiseau noir jacassait dans les arbres,
je t'avais dit qu'il était l'oiseau de mauvais augure,
il ne fallait pas partir, pas quitter ta maison,
l'oiseau apportait un présage,
tu ne m'as pas écouté, j'ai toujours tort quand je te parle, quand je te parle du message des oiseaux,
tu es partie, heureuse de faire ce grand tour autour du port,
je n'ai pas pu te retenir, tu ne me crois jamais.
tant pis pour toi. fallait m'écouter et écouter les oiseaux.
clem
Rédigé par : clem | 30 décembre 2006 à 12:26
Mais non,Clem, tu n’as pas toujours tort quand tu parles, ne crois pas ça. Je sais bien aussi que tu les comprends les messages des oiseaux. Mais moi, c’est plus fort que moi, il faut que j’aille, il faut que je parte, que j’explore, les sentiers du maquis et les criques qui l’enserrent. Je n’y peux rien, je suis une aventurière. Oh, pas vraiment une très grande, pas de ces héroïnes dont j’ai toujours rêvé. Non, seulement une « girondulone » qui aime aller là où les autres ne vont pas ! Je suis comme la petite chèvre bien connue et aucune sangle ne pourra jamais me retenir ! N’aie pas peur, je reviendrai à quai, quand la nostalgie de la terre ferme me reprendra. Je te raconterai mes découvertes et mes enchantements et peut-être aussi mes ennuis et désagréments, qui sait ? Pour l’heure, je me sens le cœur léger et la tête pleine de rêves. Attends-moi, je reviens bientôt !
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 02 janvier 2007 à 20:08