Le 11 décembre 1810 naît à Paris Alfred de Musset.
Homme de lettres, dandy écorché, Alfred de Musset est l’auteur brillant de nombreuses pièces de théâtre – Les Caprices de Marianne (1833), Fantasio, On ne badine pas avec l’amour, Lorenzaccio (1834). LA CONFESSION D'UN ENFANT DU SIÈCLE En 1836, Musset publie à Paris, chez Félix Bonnaire, La Confession d’un enfant du siècle dont le chapitre deux avait déjà paru dans La Revue des Deux Mondes le 15 septembre 1835. Composée au retour de l’aventure vénitienne avec George Sand, La Confession d’un enfant du siècle, placée par son titre même dans la continuation des Confessions de saint Augustin et de Jean-Jacques Rousseau, est un ouvrage fondamental pour comprendre le romantisme français. EXTRAIT Cependant il monta à la tribune aux harangues un homme qui tenait à la main un contrat entre le roi et le peuple; il commença à dire que la gloire était une belle chose, et l’ambition de la guerre aussi ; mais qu’il y en avait une plus belle, qui s’appelait la Liberté. Les enfants relevèrent la tête et ses souvinrent de leurs grands-pères, qui en avaient aussi parlé. Ils se souvinrent d’avoir rencontré, dans les coins obscurs de la maison paternelle, des bustes mystérieux avec de longs cheveux de marbre et une inscription romaine ; ils se souvinrent d’avoir vu le soir, à la veillée, leurs aïeules branler la tête et parler d’un fleuve de sang bien plus terrible encore que celui de l’empereur. Il y avait pour eux, dans ce mot de liberté, quelque chose qui leur faisait battre le cœur, à la fois comme un lointain et terrible souvenir et comme une chère espérance, plus lointaine encore. Ils tressaillirent en l’entendant ; mais en rentrant au logis ils virent trois paniers qu’on portait à Clamart : c’étaient trois jeunes gens qui avaient prononcé trop haut ce mot de liberté. […] Les uns disaient : « Ce qui a causé la chute de l’empereur, c’est que le peuple n’en voulait plus » ; les autres : « Le peuple voulait le roi ; non, la liberté ; non, la raison ; non, la religion ; non, la constitution anglaise ; non, l’absolutisme » ; un dernier ajouta : « Non, rien de tout cela, mais le repos. » Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque blanche voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et où l’on sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petit-fils de la Révolution. Or, du passé ils n’en voulaient plus, car la foi en rien ne se donne ; l’avenir, ils l’aimaient, mais quoi ! comme Pygmalion Galatée : c’était pour eux comme une amante de marbre, et ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines. Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie et moitié fœtus ; ils s’en approchèrent comme le voyageur à qui l’on montre à Strasbourg la fille d’un vieux comte de Sarvenden, embaumée dans sa parure de fiancée : ce squelette enfantin fait frémir, car ses mains fluettes et livides portent l’anneau des épousées, et sa tête tombe en poussière au milieu des fleurs d’oranger. » Alfred de Musset, La Confession d’un enfant du siècle, Chapitre 2, Éditions Garnier, 1968, pp. 5-8. |
■ Voir aussi ▼ → (dans Gallica) l'édition originale de La Confession d'un enfant du siècle → (sur Terres de femmes) 21 février 1821 | Naissance de Rachel (Un souper chez Mademoiselle Rachel, lettre d'Alfred de Musset) |
Retour au répertoire du numéro de décembre 2006
Retour à l' index de l'éphéméride culturelle
Retour à l' index des auteurs
Commentaires
Vous pouvez suivre cette conversation en vous abonnant au flux des commentaires de cette note.