Paupières de terre, 2006.
Lecture d’Angèle Paoli
Que reste-t-il au poète lorsque les rêves auxquels il avait cru jadis s’évanouissent avec le temps ? Que le silence des dieux a obscurci les rites de passage ? Que « les paroles mortes » gisent « comme feuilles au sol » ? Comment répondre encore aux interrogations obsédantes qui jalonnent la mémoire ? Où trouver les réponses, et quelles réponses, qui puissent donner sens à la vie ? Dernier recueil de Mireille Fargier-Caruso, Ces gestes en écho tracent le murmure continu d’une plainte et tissent en pointillés une ébauche de gestes et de mots susceptibles d’apaiser l’attente inassouvie du poète. Et de lui donner la force de poursuivre la route. Ainsi, dès les premiers vers de Ces gestes en écho, le constat du silence essentiel se dit, qui signe la « déchirure » intime du poète. Son irrémédiable solitude. Et la faille qui le sépare de ses rêves. Une esquisse à peine. Un écho épuré aux vers de Eugénio de Andrade que Mireille Fargier-Caruso a choisi de mettre en exergue de son propre recueil : Au fil du recueil, les « déchirures oubliées » refont surface auxquelles d’autres plus récentes, plus cruelles, plus douloureuses viennent se rajouter, qui résonnent entre elles en ramifications assourdies. Des menaces surgissent, qui se précisent au cours des expériences et des pages. Menues discordances et distorsions. Désastres et deuils, violences du fracas des armes, massacres et misères de ce temps. Mort. Tout cela s’exprime, en apparence, comme dans un murmure, un frôlement d’aile, sans insistance. Pourtant, la voix s’enfle parfois, les strophes jusqu’alors ténues se densifient, se gonflent. La révolte gronde. Le rythme se marque davantage, qui joue sur les espacements et la respiration, mais aussi sur les répétitions de mots et de sons jusqu’à effacement total du sujet et de ce qui constitue son essence, jusqu’à la négation de l’autre. Mais la vie suit son cours, tissée d’attentes et de peurs. Avec ses trêves et ses voyages. Avec ces gestes accomplis « ensemble », « ces instants de cristal/entre elle et lui ». Elle et lui d’abord ; puis vient l’enfant un peu plus tard. Douleur de la séparation. Désir et tentation de la folie : Entre le passé de l’enfance dont elle « ne peut oublier ni poussière et le présent terni par les désillusions et le « bruit noir des machines », entre « espace infini » du dedans et « silence d’avant le souvenir », Mireille Fargier-Caruso relie distances et parcours. En prenant appui sur les existences ténues, modestes, minuscules. Celles qui persistent en dépit de l’étouffement qui leur est infligé. Elle « apprivoise », « sculpte » et « cueille » ; « libère l’églantine » et « prend soin des moineaux ». « Dans la nuit /elle fait confiance au ver luisant ». Elle invente des « gestes en écho », « petits cailloux semés » au hasard des jours et des chagrins. Des amours. Des gestes pour conjurer les peurs ou dire le fusionnement des âmes. Soucieuse de « renouer la lenteur des gestes », elle renoue avec les rituels de vie : Dans l’attente d’« un monde habitable », elle « cherche un autre cheminement ». En écho aux gestes simples qui redonnent sens à la vie, il y a aussi l’écho des mots. Au désir de « planter une étoile à la cime enneigée du sapin » répond celui toujours présent de « trouver des mots neufs/pour étonner ». Des mots pour faire face aux « discours qui ternissent la langue » ; des mots qui rendent leur sens plein aux « légendes oubliées sous les ruines des paroles » ; des mots pour ceux qui « à court de mots », « choisissent les armes ». « Tout un brasier de mots sous le silence ». Dès lors, celle qui « du plus loin »/« entend l’envers des voix », « appelle la craie des syllabes/pour que s’efface ce qui recouvre » et cherche « les phrases transparentes/pour délester la nuit ». Derrière les désarrois du poète se lit sa lucidité. Et la modestie de son désir. « Qu’a-t-elle dans le cœur à transmettre ? [...] Presque rien. » « L’eau du poème/où se désaltérer ». Derrière l’apparente simplicité des poèmes et leur minimalisme formel, c’est une réflexion en échos démultipliés que le poète fait entendre. « S’alléger enfin/de ce qui s’amenuise ». Telle est la voie essentielle que choisit le poète au terme de son cheminement poétique. |
MIREILLE FARGIER-CARUSO Source ■ Mireille Fargier-Caruso sur Terres de femmes ▼ → silence d'avant le souvenir (poème extrait du recueil Ces gestes en écho présenté ci-dessus) → L’arôme du silence → [Tu avances] (poème extrait du recueil Ce lointain inachevé) → Comme une promesse abandonnée (lecture de Michel Ménaché) → [D’un coup de dent soudain] [L’hiver avance] (extraits de Comme une promesse abandonnée) → Entendre → Gorgée d’eau pour les lèvres sèches → [S’arracher] (poème extrait d’Un lent dépaysage) → [sur la plage] (extrait de Couleur coquelicot) → (dans l'anthologie poétique Terres de femmes) On a vingt ans ■ Voir aussi ▼ → (dans la Poéthèque du site du Printemps des poètes) une fiche bio-bibliographique sur Mireille Fargier-Caruso |
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J'aime tout particulièrement :
« elle rassemble
de ses gestes ronds
ce que la souffrance
éparpille ».
Nul besoin d'en rajouter, tout est là.
Amitiés,
Rédigé par : Pascale | 22 novembre 2006 à 19:14
un délicat parallèle entre
l'intime espoir du poète et le tien,
ma chère Angèle...
dès l'exergue où l'on entrevoit
une espèce d'"aura" d'humanité,
-"l’épaisseur du corps, la cécité du mur" nonobstant ;
et après, l'amertume qui se dégage
du "combat corps à corps
avec la subtile différence
qui passe entre l'imparfait que les enfants emploient "dans les jeux"
et le passé simple des vies tuées "dans les guerres";
jusque à songer/souhaiter
au lieu de l'action des guerres,
une revanche de "paroles de geste"
"...que les arbres leur survivent ".
amicalement , Franca.
ot (ou pas trop ot):
je suis très heureuse de te retrouver en t'imaginant beaucoup plus sereine.
Rédigé par : madeinfranca | 23 novembre 2006 à 08:37
Pascale, Franca, merci à toutes deux. Une belle rencontre, celle que je viens de faire de Mireille Fargier-Caruso. J'ai encore beaucoup à découvrir de sa poésie et à vous faire partager.
Rédigé par : Angèle Paoli | 24 novembre 2006 à 22:31
Ci-après, un extrait d'un courrier postal adressé le 30/11/2006 par Mireille Fargier-Caruso à Angèle Paoli :
"Merci, vraiment, pour votre compte-rendu-analyse de mon livre Ces gestes en écho dans Terres de femmes. Cela m'a fait très plaisir de voir à quel point on peut être lu avec attention et justesse; à quel point nos mots aussi peuvent parfois faire "écho".
La poésie, à certains moments, dissipe un peu ce "noir intense qui descend sur la mer", comme vous le dites si bien, et c'est pour cela qu'on écrit, je pense, non ?"
Rédigé par : Webmestre de TdF | 07 décembre 2006 à 11:45