Éditions Lettres vives,
Collection Terre de poésie dirigée par Claire Tiévant,
Castellare-di-Casinca (Haute-Corse), 2006.
Traduit de l'espagnol par Jacques Ancet.
Lecture d’Angèle Paoli
Ph, G.AdC
Il y a eu, à quelque temps d’ici, traduit de l’espagnol par Jacques Ancet, la publication d’un recueil de poèmes d’Antonio Gamoneda, intitulé Clarté sans repos. Une poésie cruelle, sans concession, marquée par l’obsession de la vieillesse et de la mort. Tenaillé par les images de violence qui ont hanté son enfer, Antonio Gamoneda écrit, page cinquante-trois de la section « L’Oubli vient » : « A présent ma passion est l’indifférence. J’écoute des dents invisibles dans le bois. » Pourtant, quelques mois à peine après la publication de Clarté sans repos, paraît le petit opus Cecilia. Un recueil de trente poèmes inspirés par la naissance de Cecilia, sa petite-fille. Avec la venue au monde de Cecilia, le poète retrouve une part de lumière. Lumière vive qui passe de l’enfant au vieillard, pénètre dans ses veines et se fond sous sa peau, le rendant à la vie. Certes, le poète n’a pas oublié de quelles horreurs a été tissée sa vie antérieure, lui qui écrit (Cecilia, page 27) : « J’ai vu les yeux des tourterelles rougis par la colère, je sais que dans le laurier habite l’acide prussique et que ses fruits immobilisent le cœur des oiseaux. » Non, le poète n’est pas dupe. Il garde présents à la mémoire les mensonges qui ont tissé le monde et l’ont durablement meurtri. Pourtant, avec la venue au monde de Cecilia, les yeux du vieil homme blessé à mort, soudain s’ouvrent. Sur de menus espoirs. Et le mensonge même se fait « lumineux ». C’est par l’enfant, grâce au pouvoir créateur qui est le sien, que le poète est sauvé de son désespoir. « Tu as dessiné le monde dans un mensonge lumineux ». Avec la venue au monde de Cecilia, Gamoneda renoue avec une autre lumière, qui donne forme à l’invisible. Cet invisible, jusqu’alors très douloureux parce que lié à l’agonie – « il n’y a plus que des visages invisibles » –, se mue peu à peu, au contact charnel de l’enfant, joue et mains, cheveux, effleurement de mots, en une force créatrice qui ranime le poète et lui insuffle la chaleur de la vie. Au bord de l’émerveillement, Gamoneda découvre l’art d’aimer. Et renoue avec la parole poétique des origines. Celle-là même, peut-être, de « l’enfant ébloui qu’il fut ». Et « se comprend par delà le langage de la communication courante parce que son réalisme est d’une autre nature ». C’est que, naturellement poète, Cecilia donne à son grand-père une leçon de création poétique : « tu parles d’une fleur invisible/de ta langue traversée par une ignorance lumineuse », écrit le poète, subjugué par les pouvoirs innocents de l’enfant. Au fil des poèmes, Cecilia incarne ce miracle de tous les instants, celle par qui le poète se guérit de ses maux sans fond : « tu es ma maladie et tu me sauves ». Le chagrin de l’enfant, « ces pétales d’ombre sur son visage », le poète les fait siens. Au même titre que ses cheveux ou que ses mains. Ou que son babil. Entre dialogue et confidence, le recueil Cecilia apparaît comme le volet lumineux de Clarté sans repos. Peut-être ne s’agit-il là, dans la brièveté de cet opus, que d’une infime « parenthèse » dans l’œuvre de Gamoneda. Mais une parenthèse heureuse qui se vit au cœur de l’impitoyable vieillesse. Et même si Cecilia est « l’ultime fleur », celle qui surgit devant l’abîme, elle est cette force qui maintient, pour quelque temps encore, celui qui s’en va vers la mort. Dans la lumière. Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
ANTONIO GAMONEDA Source ■ Antonio Gamoneda sur Terres de femmes ▼ → Géologie (poème extrait de Blues castillan) → Entra en tu madre (poème extrait de Cecilia + notice bio-bibliographique) → La lumière bout derrière mes paupières (poème extrait d’Arden las pérdidas [Clarté sans repos]) → Quand tu éclaires mes yeux (poème extrait de Chanson de l’erreur) ■ Voir aussi ▼ → (sur P/oésie, le Blog d'Alain Freixe) Clarté sans repos d'Antonio Gamoneda Pour entendre Antonio Gamoneda lire à voix haute certains de ses poèmes, se rendre sur le site Lyrikline (recueil Libro del Frío) ou sur La voz de los poetas |
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je fais miens les deux vers sur l'indiférence.
Ensuite c'est toi qui nous donnes un beau poème autour de son émerveillement devant la vie en cet enfant.
Rédigé par : brigetoun | 04 novembre 2006 à 21:58
Ton commentaire donne envie de lire ce poète, Angèle.
"l’impitoyable vieillesse"… Certains osent ou ont osé en parler.
Moi qui regarde toujours devant moi, j'aimerais -au seuil de cet âge- me retourner et repartir dans le sens inverse, non à reculons, mais à contre-sens…
Rédigé par : nobody | 06 novembre 2006 à 17:18
Brigetoun ; Nobody. Merci à toutes deux. Je crois qu'il faut lire les deux ouvrages de Gamoneda, successivement. Et dans l'ordre. De Clarté sans repos à Cecilia. On y retrouve les mêmes lignes de force et les mêmes images. Transcendées dans le second recueil par un émerveillement auquel Gamoneda n'avait jusqu'alors jamais cru. La langue de Gamoneda est belle et dense. Je regrette de ne pouvoir vraiment lire sa poésie dans le texte.
Rédigé par : Angèle Paoli | 06 novembre 2006 à 22:24
Bonjour,
Je vous signale que le premier livre qui ait été traduit de A. Gamoneda l'a été en 1996, chez Antoine Soriano Éditeur. Il s'intitule Livre du Froid et il est toujours disponible.
Je vous saurais gré de bien vouloir le signaler.
Merci d'avance,
Martine Joulia
Rédigé par : martine joulia | 17 décembre 2006 à 13:20
Bonjour Martine Joulia,
Il est tout à fait humain et compréhensible que vous souhaitiez autopromouvoir votre travail de traductrice, et que vous souffriez quelque peu de l'"ombre portée" de Jacques Ancet. Nul n'ignore cependant l'existence de ce titre puisqu'il est mentionné dans la notice bio-bibliographique de Poezibao à laquelle renvoi est fait dans l'encadré des "corrélats". En parfaite coordination, harmonie et connivence avec Florence Trocmé, la rédactrice en chef de Poezibao et l'amie d'Angèle Paoli.
Bien cordialement,
Le webmestre de TdF
Rédigé par : Webmestre de TdF | 17 décembre 2006 à 14:36