Le
9 novembre 1929 naît à Budapest
Imre Kertész.

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Juif hongrois, déporté à Auschwitz en 1944 puis à Buchenwald, Imre Kertész est libéré en 1945. De retour à Budapest, Kertész gagne sa vie comme journaliste puis se consacre à la traduction d’auteurs allemands, avant de se lancer dans l’écriture. Être sans destin, son premier roman, paraît en 1975. Mais il faut attendre la chute du mur de Berlin (9 novembre 1989) pour que l’œuvre d’Imre Kertész soit appréciée à sa juste valeur. En octobre 1990, Imre Kertész est récompensé par le prix Nobel pour l’ensemble de son œuvre.
EXTRAIT
Je rends visite à ma mère deux fois par semaine, les après-midi qui lui reviennent, comme d’habitude. Avec elle, j’ai davantage de soucis. Comme mon père m’en avait prévenu, elle est effectivement incapable de se faire à l’idée que ma place est chez ma belle-mère. Elle dit que je lui « appartiens » à elle, ma mère. Mais bon, je sais que le tribunal m’a confié à mon père et c’est donc sûrement sa décision à lui qui est valable. Pourtant, dimanche encore, elle m’a demandé une nouvelle fois avec insistance où, moi, je voulais vivre parce que, d’après elle, c’est quand même ma volonté qui compte, et elle m’a demandé aussi si je l’aimais. Je lui ai dit : bien sûr ! Mais elle m’a expliqué qu’aimer revient à « tenir à quelqu’un », et qu’elle voyait bien que je tenais à ma belle-mère. J’ai essayé de lui faire comprendre qu’elle se trompait, puisqu’en définitive ce n’est pas tant moi qui tenais à elle que - elle le savait bien - mon père qui en avait décidé ainsi. Elle a dit alors qu’il était question de moi, de ma vie à moi, et que c’était à moi d’en décider, et puis que « les preuves d’amour ne sont pas dans les mots, mais dans les actes ». Je suis revenu de chez elle accablée au possible: naturellement, je ne peux pas lui permettre de penser vraiment que je ne l’aime pas - mais d’un autre côté, je ne peux pas prendre tout à fait au sérieux ce qu’elle a dit sur l’important. Et en fin de compte, c’est leur problème à eux. Et il serait malvenu que je porte un jugement là-dessus. En outre, je ne peux pas voler mon père, surtout maintenant qu’il est au camp de travail, le pauvre. N’empêche que j’ai pris le tram avec un certain malaise parce que, bien sûr, je tiens à ma mère et ça m’a fait de la peine de n’avoir à nouveau rien pu faire pour elle. C’est même elle qui a insisté : il se fait tard - compte tenu du fait qu’avec une étoile jaune on n’a le droit de sortir dans la rue que jusqu’à huit heures du soir. Mais je lui ai expliqué que depuis que j’étais en possession de ma carte d’identité il n’était pas nécessaire de respecter toutes les mesures à la lettre.
Néanmoins, dans le tram, je me suis agrippé à la plate-forme arrière de la dernière voiture, correctement, conformément au règlement. Il était presque huit heures quand je suis arrivé à la maison, et bien que le soir d’été fût encore clair, les gens fermaient déjà, ça et là, leurs volets noirs et bleus. Ma belle-mère s’impatientait déjà, mais plutôt par habitude, puisque j’ai ma carte d’identité…

Ph., G.AdC
Imre Kertész, Être sans destin, Actes Sud, 1998, pp. 44-45-46.
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