Le 7 novembre 1990 meurt à Sommières (Gard) l’écrivain britannique Lawrence Durrell.

Image, G.AdC
Né le 27 février 1912 dans une bourgade indienne des confins de l’Himalaya, élevé à Darjeeling puis en Angleterre, Lawrence Durrell, grand voyageur épris des lumières et des chatoyances du monde méditerranéen, « a résidé dans des lieux aussi divers que la Crète, Chypre, Corfou, Cos, Patmos, Rhodes, Belgrade, Buenos Aires, Jérusalem et Alexandrie », écrit son ami Henry Miller, dans la préface qu’il a rédigée pour le roman Justine. Professeur, journaliste et diplomate, Durrell se lance très tôt, dès l’âge de vingt-trois ans, dans le métier de l’écriture. Auteur d’un ouvrage poétique intitulé Fragments insolites (Quaints Fragments, 1931), Lawrence Durrell se révèle surtout comme un prosateur de grand talent. Dont le Quatuor d’Alexandrie est l’œuvre romanesque majeure.
Vaste composition musicale orchestrée autour du motif de la ville égyptienne d’Alexandrie, le Quatuor d’Alexandrie comporte quatre volets : Justine, 1957 ; Balthazar, 1958 ; Mountolive, 1958 et Cléa, 1960.
EXTRAIT de JUSTINE
Je repense à cette époque où le monde connu existait à peine pour nous quatre ; les jours n’étaient que des espaces entre des rêves, des espaces entre les paliers mouvants du temps, des occupations, des bavardages… Un flux et reflux d’affaires insignifiantes, qui ne nous conduisait nulle part, ne nous apportait rien, une existence qui n’attendait rien d’autre de nous que l’impossible : être nous-mêmes. Justine disait que nous étions pris dans la projection d’une volonté trop puissante et trop délibérée pour être humaine, le champ d’attraction qu’Alexandrie dirigeait sur ceux qu’elle avait élus pour être ses vivants symboles…
Six heures. Le piétinement des silhouettes blanches aux abords de la gare. Les magasins qui se remplissent et se vident comme des poumons dans la rue des Sœurs. Les pâles rayons du soleil d’après-midi qui s’allongent et éclaboussent les longues courbes de l’esplanade, et les pigeons ivres de lumière, qui se pressent sur les minarets pour baigner leurs ailes aux derniers éclats du couchant. Tintement des pièces d’argent sur les comptoirs des changeurs. Les barreaux de fer aux fenêtres de la banque, encore trop brûlants pour qu’on puisse y poser la main. Roulement des attelages emmenant les fonctionnaires coiffés de leur pot de fleurs rouge vers les cafés de la Corniche. C’est l’heure la plus pénible à supporter, et, de mon balcon, je l’aperçois qui s’en va vers la ville, d’une démarche nonchalante, en sandales blanches, encore mal éveillée. La ville sort lentement de sa coquille, comme une vieille tortue et risque un coup d’œil au-dehors. Pour un moment elle abandonne les vieux lambeaux de sa chair, tandis que d’une ruelle cachée près de l’abattoir, dominant les beuglements et les bêlements, montent les bribes nasillardes d’une chanson d’amour syrienne. Quarts de ton suraigus, tel un sinus réduit en poudre dans un moulin à poivre.
Puis des hommes fatigués qui relèvent les stores de leurs balcons et font un pas en clignotant dans la pâle et chaude lumière - fleurs languides des après-midi d’angoisse, têtes dolentes sous le pansement des rêves moites de leurs affreuses couches. Je suis devenu un de ces pauvres employés de la conscience, un citoyen d’Alexandrie. Elle passe sous ma fenêtre, souriant au fantôme d’une satisfaction intime, en éventant doucement ses joues avec le petit éventail de paille. Un sourire que je ne reverrai probablement jamais, car lorsqu’elle est en compagnie elle se contente de rire, en découvrant ses magnifiques dents blanches. Mais ce triste et furtif sourire contient encore comme une espièglerie latente qu’on ne se serait pas attendu à rencontrer chez elle. On aurait pu penser qu’elle était d’une nature plus tragique et qu’elle manquait de l’humour le plus ordinaire. Mais le souvenir obstiné de ce sourire en vient à me faire douter de cela maintenant. »
Lawrence Durrell, Justine, Buchet-Chastel, Paris, 1959 ; Le Livre de Poche, 1963, pp. 25 à 27.
Retour en jambes, sur TERRES DE FEMMES ? Retour en disponibilité, plus probablement. On imagine là-bas les éternels couchants, la mer se mouvant, la terre crissant. Il y a un peu de poussière sur l'ordinateur - hop ! un coup de chiffon. Quel livre ouvrir ? Le téléphone sonne, puis s'arrête. L'île vit. Le monde bat. JM.
Rédigé par : Jean-Marie | 07 novembre 2006 à 21:41
Ah, Jean-Marie, quel plaisir de vous lire et de vous retrouver! Eh bien, oui, vous brûlez, c'est presque ça! Mais ici, avec la beauté des lieux qui me happe, avec la surprise des rencontres, la tentation de l'extérieur est grande, presque irrépressible. Je n'y résiste d'ailleurs pas. Alors, j'attends que la nuit tombe pour retrouver mes livres, mes cahiers d'écriture. Et mon ordinateur. Installé dans le moulin à huile ancestral. Je savoure tout le délice de cet instant.
Rédigé par : Angèle Paoli | 07 novembre 2006 à 22:10
je viens de vous lire, j'ai beaucoup aimé, je suis sommiéroise (Sommières dans le Gard). Je voulais juste vous dire que je croisais très souvent Mr Lawrence Durrell, je me souviens de lui faisant ses courses dans la petite épicerie de la place du marché, c'etait un homme très sympathique, qui parlait à tout le monde dans le village j'ai eu moi même l'occasion d'échanger avec lui quelques mots, il était très apprécié et respecté par les Sommiérois, qui à sa mort lui ont dédié un espace culturel baptisé "espace Lawrence Durrell "
salutations les meilleures
michelle
Rédigé par : michelle garcia | 19 novembre 2006 à 21:43
Merci, Michelle, pour ce témoignage qui nous rend ce grand écrivain si proche, si accessible, si présent. Je vous envie d'avoir côtoyé cet homme de qualité.
Rédigé par : Angèle Paoli | 19 novembre 2006 à 23:10
bonsoir c'est tout à fait par hasard que je viens de trouver votre blog, je voulais juste vous dire que moi aussi je suis sommiéroise et que j'ai souvent rencontré Monsieur Durrell, avec qui j'ai eu le plaisir même de bavarder de tout et de rien, c'était un homme simple très souriant et chaleureux, il etait très apprécié des sommiérois qui ne l'oublieront jamais, c'est certain, remerciements à vous de nous parler de ce grand monsieur, qui habitait à deux cents mètres de chez mes parents......
michelle
Rédigé par : garcia michelle | 12 juin 2007 à 23:31