Né à Vienne le
28 novembre 1881,
Stefan Zweig est, avec Hugo von Hofmannsthal, Robert Musil et Arthur Schnitzler, l’une des figures dominantes de la littérature autrichienne. Figures dont l’épanouissement correspond avec la chute du vieil Empire des Habsbourg.
Source
MAGELLAN
Voyageur infatigable, doué d’une curiosité insatiable, Zweig parcourt le vaste monde, du nord au sud, d’est en ouest, à l’affût de littératures nouvelles. C’est au cours de l’un de ces voyages, alors qu’il navigue confortablement vers l’Amérique du sud, que Stefan Zweig découvre, dans la bibliothèque du bord, l’une des nombreuses odyssées narrant les exploits des conquistadores. Parmi lesquelles l’histoire de Magellan. Qui produit sur lui une telle impression que l’écrivain viennois décide d’entreprendre des recherches sur le navigateur portugais et de se lancer dans le récit de ce destin exceptionnel.
Le 20 septembre 1519, à l’âge de 39 ans, Magellan (1480-1521) entreprend le premier voyage autour du monde. Et réalise, deux ans avant sa mort, l’un des grands rêves de l’humanité.
Ci-dessous, un EXTRAIT de l’ouvrage de Stefan Zweig :
« Le 28 novembre 1520 on lève l’ancre, on hisse les drapeaux. Et par une salve tonnante d’artillerie les trois petits navires solitaires saluent respectueusement la mer inconnue, comme on salue un grand adversaire que l’on provoque à un duel à mort […]
Pendant des milliers d’heures, la flotte de Magellan s’avance à l’aventure. Depuis le 28 novembre, le jour où le Cap Désiré a disparu dans le lointain, leurs cartes et leurs mesures sont sans valeur. Toutes les distances calculées par Faleiro se sont montrées fausses. Depuis longtemps Magellan croit avoir dépassé Cipango, le Japon, et cependant il a à peine parcouru un tiers de l’océan mystérieux qu’à cause de l’absence totale de vents il appelle le Pacifique.
Mais combien cruelle cette tranquillité, combien atroce ce calme absolu ! La mer est toujours aussi bleue et miroitante, le ciel aussi serein et brûlant, l’air aussi vide de sons, l’horizon aussi lointain. Toujours le même néant bleu autour des trois petits navires, seuls points mouvants dans cette horrible immobilité, toujours la même lumière cruelle contre le jour, et la nuit les mêmes étoiles froides et silencieuses, qu’ils interrogent en vain. Toujours les mêmes objets dans le carré des matelots, la même voile, le même mât, le même pont, la même ancre, les mêmes canons, les mêmes affûts. Toujours la même odeur de pourriture, montant des entrailles du navire. Toujours, matin, midi et soir, les mêmes visages figés dans un morne désespoir, avec cette seule différence que chaque jour ils s’allongent un peu plus. Les yeux s’enfoncent de plus en plus dans les orbites, leur éclat diminue de jour en jour, les joues ne cessent de se creuser, la démarche des matelots devient de plus en plus molle et vacillante. Ils ont des allures de spectres, eux qui, quelques mois auparavant, jeunes hommes robustes, montaient et descendaient les échelles, manoeuvrant rapidement au milieu de la tempête. A présent ils marchent en chancelant comme des malades ou gisent épuisés sur leurs paillasses. Les trois navires ne sont plus que des hôpitaux flottants… »
Stefan Zweig, Magellan, Les Cahiers Rouges, Grasset, 1938, pp. 197-201.
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