Le 14 novembre 1946, le Prix Nobel de Littérature est attribué à l’écrivain suisse d’origine allemande Hermann Hesse (1877-1862).

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Hermann Hesse est l’auteur de nombreux romans : Peter Camezind (1904) ; Gertrude (1910) ; Damian (1919); Siddharta (1922) ; Le Loup des steppes (1927) ; Narcisse et Goldmund (1930) ; Le Voyage en Orient (1932) ; Le Jeu des perles de verre (1943).
EXTRAIT
« Il vivait davantage dans ce monde de ses rêves que dans la réalité. Le monde réel : salle de classe, cour du monastère, bibliothèque, dortoir, chapelle, restait à la surface, une mince peau frémissante sur le monde surréel des images saturé de rêve. Un rien suffisait à percer un trou dans cette mince pellicule, quelque chose d’évocateur dans la consonance d’un mot grec au milieu de la leçon terre à terre, une onde de parfum venue du sac à herboriser du père Anselme, un coup d’œil jeté sur une tige du feuillage de pierre qui ruisselait là-haut de la colonne supportant l’arc d’une fenêtre - de petites impulsions de ce genre, et c’était assez pour perforer la peau de la réalité et déchaîner, derrière le réel paisible et desséché, les abîmes, les torrents et les voies lactées de ce monde d’images de l’âme. Une initiale latine devenait le visage parfumé de sa mère, une syllabe traînante de l’Ave devenait la porte du paradis, une lettre grecque se transformait en un cheval en pleine course, en un serpent se dressant sur sa queue qui se traînait dans le grand silence parmi les fleurs, s’en allait - et déjà, à sa place, il n’y avait plus que la page austère de la grammaire.
Il était rare qu’il parlât de cela ; une ou deux fois seulement il fit allusion en conversant avec Narcisse à cet univers de ses songes.
« Je crois », dit-il, « qu’un pétale de fleur ou un vermisseau sur le chemin contient et révèle beaucoup plus de choses que tous les livres de la bibliothèque entière. Avec des lettres et des mots on ne peut rien dire. Parfois j’écris une lettre grecque quelconque, un thêta ou un oméga, et je n’ai qu’à tourner un tout petit peu la plume, voilà que la lettre prend une queue et devient un poisson et évoque en une seconde tous les ruisseaux et tous les fleuves de la terre, toute la fraîcheur et son humidité, l’océan d’Homère et les eaux sur lesquelles marcha saint Pierre, ou bien la lettre devient un petit oiseau, dresse la queue, hérisse ses plumes, se gonfle, rit et s’envole. Eh bien, Narcisse, tu ne fais sans doute pas grand cas de ces lettres-là ? Mais je te le dis, c’est avec elles que Dieu a écrit le monde. »
« J’en fais grand cas, au contraire », dit tristement Narcisse, « ce sont des lettres magiques, on peut avec elles conjurer tous les démons. Ah ! Pour ce qui est de faire avancer la science, elles sont sans intérêt. L’intelligence aime ce qui est fixe, ce qui a forme ; elle veut pouvoir se fier à ses signes, elle aime ce qui est, non ce qui est en devenir ; le réel, non le possible. Elle ne tolère pas qu’un oméga devienne un serpent ou un oiseau. L’intelligence ne peut pas vivre dans la nature, mais seulement en face d’elle, comme son contraire. Me crois-tu maintenant quand je te dis que tu ne seras jamais un savant ? »
Oh ! bien sûr, Goldmund le croyait depuis longtemps ; sur ce point il était d’accord.
« Je ne suis plus du tout entiché de la quête de votre intelligence », dit-il en riant à demi, « il en est de l’intelligence et de la science comme de mon père, je croyais l’aimer beaucoup et lui ressembler, tout ce qu’il disait était pour moi parole d’évangile. Mais à peine ma mère était-elle à nouveau présente en moi que je sus ce que c’était que l’amour et, à côté de son image, celle de mon père était tout à coup devenue mesquine, maussade et presque antipathique. Et maintenant j’ai tendance à considérer tout ce qui est intellectuel comme étant du domaine paternel, comme privé de sens maternel, hostile à l’esprit maternel, et à le dédaigner un peu. »
Il plaisantait et pourtant ne réussit pas à chasser la tristesse du visage de son ami. Narcisse le contempla en silence et son regard était comme une caresse. Puis il dit : « Je te comprends bien, nous n’avons plus lieu de discuter maintenant, tu es éveillé, et tu as aussi reconnu que nous sommes différents l’un de l’autre, la différence de ceux qui sont de la race du père et ceux qui sont du côté de la mère, la différence entre l’âme et l’intelligence. Et maintenant tu ne vas pas tarder à t’apercevoir aussi que ta vie au monastère et ton aspiration à la vie monacale étaient une erreur, une invention de ton père qui voulait par là laver du péché la mémoire de ta mère, ou peut-être simplement se venger d’elle. Ou bien t’imagines-tu que c’est ta destinée de rester toute ta vie au couvent ? »
Goldmund considérait tout pensif les mains de son ami, ces mains fines, austères et tendres à la fois, maigres et blanches. Personne ne pouvait mettre en doute que ce fussent des mains d’ascète et de savant. »

Ph, G.AdC
Hermann Hesse, Narcisse et Goldmund, Calmann-Lévy, 1948 ; Presses Pocket, 1986, pp.73-74-75.
Cara Angèle,
mi hai fatto ricordare che Hesse è stato il vero amore dei miei anni di liceo. Comprai e lessi tutto quello che era disponibile, fino a scovare opere e titoli "minori", avevo sempre con me, in borsa, qualcosa di suo, soprattutto per i miei spostamenti in treno. Affrontai con avidità anche una cosa non facile come "Il gioco delle perle di vetro"... Poi, negli anni, mi sono sempre ripromessa di riprenderlo in mano, per guardarlo con gli occhi di oggi, ma non l'ho più fatto. Per me segna un'epoca, un tempo preciso che è quello dell'adolescenza, come se temessi – rileggendolo – di non trovare più le cose che mi avevano affascinato allora.
Ti abbraccio.
Rédigé par : Stefania | 15 novembre 2006 à 09:53
Cara Stefania, penso che avrai ragione. Eppure io ho letto Hesse, non da adolescente ma da adulta, con affascinamento. E non ero sola nel mio caso in questi anni. Eravamo alcune a scoprirlo ed a amarlo. Penso che ci avrà influenzate abbastanza. Non so se avro il tempo adesso di rileggerlo ma gli guardo un'affezione particolare.
Un grande abbraccio a te.
Rédigé par : Angèle Paoli | 24 novembre 2006 à 23:16