Le 10 novembre 1891, Arthur Rimbaud meurt à Marseille, à l’âge de trente-sept ans.
Image, G.AdC
L’année 1891 est une année terriblement difficile pour Arthur Rimbaud. Le poète-marchand d’armes souffre de varices et l’hôpital européen d’Aden a diagnostiqué une synovite. Rapatrié à bord de L’Amazone, Rimbaud débarque à Marseille le 20 mai et entre à la Conception. Il est amputé de la jambe droite le 27 mai. En juillet, il quitte Marseille pour Charleville, sa ville natale. Mais son état de santé s’aggrave et il retourne à Marseille dès le mois d’août, accompagné de sa sœur Isabelle. Il ne quittera plus l’hôpital de la Conception. Rimbaud n’avait plus écrit un vers depuis l’âge de vingt-quatre ans. La vie d’Arthur Rimbaud a inspiré à l’écrivain Philippe Claudel, une nouvelle intitulée L’autre, dont voici un extrait : « Puis, il partit. Toujours plus au sud. Toujours disant les soirs le long du grand fleuve qui roulait son eau sous de sombres éclats de lune les Illuminations. Toujours se nourrissant du peu des mots, et de fèves bouillies, d’un bol de harira qu’on lui tendait souvent en signe d’hospitalité. Chaque jour, il marchait de l’aube au crépuscule du soir aux côtés de son âne qu’il n’osait monter de peur de le blesser, les yeux sur la fuite de l’horizon. Des enfants lui tenaient la main, ou dansaient autour de lui en chantant son nom de Reïmbo. On ne lui jetait plus de pierres. On paraissait attendre sa venue dans les villages. Le soleil martelait son crâne. Frolon perdit le sens du temps, des heures, des jours. Parfois, il lui semblait être parti de Tunis quelques semaines plus tôt, d’autres fois cela lui paraissait remonter à plusieurs années. Frolon perdit le sens de lui-même et du monde de la faim, de la soif, de la fatigue, des hommes, de Dieu, du silence et du mal, de son passé et de sa propre existence : il gagna des allures de prophète, un regard fixe comme le sont ceux des aveugles […] Dans une pièce fraîche au sol pavé de carreaux de faïence, on coucha le maigre corps qui récitait toujours. Quelques femmes indigènes lui baignèrent le front, et le firent boire. Sa vue distinguait à peine la forme de leurs visages. Il ressentait une immense paix. Il s’endormit. On lui parla. Il ouvrit les yeux. Deux hommes se penchaient au-dessus de lui. Il devinait leurs barbes et leurs fronts dans une sorte de buée très lumineuse. On lui demanda son nom. « Reïmbo, Reïmbo », parvint-il à articuler dans le souffle brûlant de son haleine. Alors il entendit l’un des deux hommes dire à son compagnon : « Curieux, n’est-ce pas mon cher ami, c’est presque le vôtre. » Et l’autre homme soudain se pencha un peu plus sur lui. Alors il vit son visage qui ressemblait au sien comme celui d’un frère. Il essaya de le toucher, tendit les bras vers lui. Mais ce fut un tourbillon noir. Et puis plus rien […] On le débarqua à Marseille sur une civière le 20 mai 1891. Aux écoutilles de la cabine succédèrent les murs tièdes et lisses de l’hôpital de la Conception. Il entendit des chants d’oiseaux et des rires de femmes. Par moments, le parfum des mimosas emplissait la grande salle commune et donnait aux râles des mourants une poésie poivrée. Les médecins procédèrent à l’amputation de la jambe gauche le 27 mai. Il faisait ce jour-là un temps à embrasser toute la terre. Il passa de longues semaines à regarder le plafond de la salle. Il y voyait des dunes inconstantes. Son âne sommeillait au bas de son lit. Un visage, toujours le même visage se penchait sur le sien. On jouait dans son dos des concerts soutenus par un chœur de verre et de mélodies nocturnes. Il se parlait dans son silence. Cela dura. Le temps pour lui n’était plus qu’un vieil instrument. Le matin du 10 novembre de la même année, son corps s’agita violemment et ses traits se tirèrent. Lui qui n’avait jamais prononcé une seule parole depuis des mois commença à psalmodier très vite une longue liste de mots incohérents… « Après le déluge, Enfance, Conte, Parade, Antique, Being beauteous, Ô la face cendrée, Vies, Départs, Royauté, À une raison, Matinée d’ivresse, Phrases…». Le médecin appelé d’urgence parvint à le calmer en lui administrant de la morphine. Alors il finit par se taire, et fixa pendant un long moment l’hygiéniste resté à son chevet ; puis d’une voix très douce qu’il ne reconnut pas pour être la sienne, il lui dit : « Mais l’autre, l’autre… qui me regarde toutes les nuits, et qui se penche sur moi… et qui me ressemble tant… où est-il maintenant ? - L’autre, quel autre ? - L’autre… celui que j’ai tant cherché… Rimbaud… » Le médecin le regarda très surpris, puis finit par dire sur le ton de l’évidence que l’ineptie heurte : - Mais… Rimbaud, c’est vous !! » À ces mots, soudain, il se fit dans la conscience du mourant un grand éclair qui gomma par sa lumière toutes les parties sensibles du monde, et l’ancien marchand parvenu au bout de son chemin rejoignit enfin dans la nuit l’ombre qu’il poursuivait. » Philippe Claudel, L’Autre in Les Petites Mécaniques, Mercure de France, 2003. Collection Folio, pp. 113-118. AUBE J’ai embrassé l'aube d’été. Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d'ombres ne quittaient pas la route du bois. J'ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit. La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée, je reconnus la déesse. Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand'ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais. En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois. Au réveil il était midi. Arthur Rimbaud, Illuminations, in Œuvres complètes, Editions Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, page 140. |
ARTHUR RIMBAUD ■ Arthur Rimbaud sur Terres de femmes ▼ → Je devins un opéra fabuleux → 20 octobre 1854 | Naissance d’Arthur Rimbaud → 24 octobre 1873 | Arthur Rimbaud rentre en France avec les exemplaires d’auteur d’Une saison en enfer |
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Merci beaucoup pour ce 10 Novembre _____
Je suis très touché ! Pour Arthur et pour mon anniv. …
Ce soir je pense à ma mère… et vous me donnez une fois encore l’occasion de vous livrer un autre extrait de ce fameux Journal d’un piètre séducteur (1969), d’un auteur inconnu :
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… Certains passagers montraient leurs passeports, d'autres se contentaient de passer par le tourniquet d'acier en disant -"rien à déclarer". Derrière les policiers, Philippe vit un homme petit vêtu d'un imperméable mastic qui faisait signe à deux acolytes de le suivre. Ils arrivèrent vers Anne Marie en faisant s'écarter les voyageurs. Immédiatement Philippe prit son sac et se précipita en courant vers la passerelle de verre. Le flot des passagers qui arrivaient encore l'empêcha de courir aussi vite qu’il le fallait. Il les bouscula mais la contrepente du tapis roulant offrait une résistance à ses pieds. Très vite les inspecteurs le rattrapèrent. Le plus petit, celui qui avait des moustaches épaisses, l'agrippa par les épaules. Aussitôt Philippe se jeta sur le caoutchouc du dégueuloir à bagages, sortit un revolver de son sac, mit le canon dans sa bouche et tira. Le sang se répandit entre les pastilles noires du revêtement de la passerelle. Son cadavre, comme un paquet inerte, roula sur le carrelage blanc du hall de la porte 24. Il achevait sa vie dans l'air conditionné de l'aéroport et ne sentit pas l'atmosphère glacée de l'Europe enneigée.
Dans son sac on retrouva, recopiée à la main cette lettre sur un papier à en-tête :
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"Hôtel de l'univers"
Le Caire
Marseille, le 9 Novembre 1891
Monsieur le Directeur,
Je viens vous demander si je n'ai rien laissé à votre compte.
Je désire changer aujourd'hui de ce service-ci, dont je ne connais même pas le nom, mais en tout cas que ce soit le service d'Aphinar.
Tous ces services sont là pourtant, et moi, impotent, malheureux, je ne peux rien trouver, le premier chien dans la rue vous dira cela. Envoyez-moi donc le prix des services d'Aphinar à Suez, je suis complètement paralysé : donc je désire me trouver de bonne heure à bord. Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord…
Arthur Rimbaud
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Le 9 Novembre 1891 sur son lit de mort à l'hôpital de la Conception à Marseille, Rimbaud dictait à sa sœur cette lettre pour le Directeur des Messageries Maritimes. Le 10 Novembre à 10 heures du matin la mort le délivrait.
Philippe était né un 10 Novembre, le jour anniversaire de la mort de Rimbaud. Il n'avait pu atteindre la trentaine, les renoncements et mutilations qu’impliquait le monde adulte l'avaient anéanti…
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Son portrait aussi par Ernest">http://www.arthurrimbaud.be/portfolio/displayimage.php?album=17&pos=0">Ernest Pignon-Ernest, en diaporama.
Oui merci encore à vous deux !
Amicizia
Guidu_______
Rédigé par : Guidu | 10 novembre 2006 à 19:49
Conosci questo splendido sito Angèle ?
Lascio un bacio a te e a Guidu i miei auguri di buon compleanno, ho perso il suo indirizzo mail...sorry! :)
Scrivo prestopresto!
Rédigé par : rita r.florit | 10 novembre 2006 à 22:07
Très émouvant ce passage parfaitement choisi que j'ai lu avec grande attention. Si Patti Smith m'inspire depuis tant d'années, c'est dans la vie et l'oeuvre de Rimbaud qu'elle puise depuis toujours son talent. Voici "Easter" (1978) en hommage au poète maudit :
Easter Sunday, we were walking.
Easter Sunday, we were talking.
Isabel, my little one, take my hand. Time has come.
Isabella, all is glowing.
Isabella, all is knowing.
And my heart, Isabella.
And my head, Isabella.
Frederick and Vitalie, savior dwells inside of thee.
Oh, the path leads to the sun. Brother, sister, time has come.
Isabella, all is glowing.
Isabella, all is knowing.
Isabella, we are dying.
Isabella, we are rising.
I am the spring, the holy ground,
the endless seed of mystery,
the thorn, the veil, the face of grace,
the brazen image, the thief of sleep,
the ambassador of dreams, the prince of peace.
I am the sword, the wound, the stain.
Scorned transfigured child of Cain.
I rend, I end, I return.
Again I am the salt, the bitter laugh.
I am the gas in a womb of light, the evening star,
the ball of sight that leads that sheds the tears of Christ
dying and drying as I rise tonight.
Isabella, we are rising.
Isabella, we are rising . . .
Et pour vous deux, sur votre île, ces mots célèbres :
L'Eternité
Elle est retrouvée.
Quoi? - L'Eternité.
C'est la mer allée
Avec le soleil.
Arthur Rimbaud- mai 1872
Amitiés,
Rédigé par : Pascale | 12 novembre 2006 à 11:45
Apparemment une vraie folie, Pascale, que de décider de se retirer dans un hameau désert sur une île. Mais savais-tu que ces vers de Rimbaud constituaient le final de Pierrot le fou de Godard (panoramique sur une mer immensément bleue) ?
Rédigé par : Yves | 12 novembre 2006 à 20:25