Du temps où les vacances scolaires étaient vraiment très très longues, et où la rentrée scolaire s'effectuait début octobre...

« 2 octobre. ― C’est aujourd’hui la rentrée. Jusqu’à ma mort, sans doute, j’aurai ce jour-là l’impression que je dois, moi aussi, boucler ma gibecière sous mes bras et partir. Par le souvenir, le lycée me paraît beaucoup plus poétique qu’il n’était vraiment. Ses vastes cours n’avaient de gaieté que celle que nous y mettions, et manquaient absolument de charme. Ses longs bâtiments avaient la couleur d’un mur de brique qu’auraient léché les flammes d’un incendie. Seul me plaisait le grand préau où les cris des joueurs de balle se répercutaient avec force ; j’aimais cet endroit à cause de la sonorité de ses murs, mais aussi pour une raison plus bizarre : je l’aimais à cause du nom qui le désignait. Ces deux syllabes pleines d’échos, de fraîcheur et de grands espaces me paraissaient encore admirables.

Ph., G.AdC
En dixième, on nous confiait aux soins de Mlle Blondeau. Elle récompensait notre bonne conduite d’une minuscule dragée et nous punissait d’une légère tape dont il fallait la remercier à genoux. En huitième, nous tremblions sous la barbe rousse de M . Noyer dont les colères étaient imprévisibles, car il passait brusquement d’une attitude paternelle et bienveillante à la saeva indignatio du professeur outragé par une vétille. Dans ces moments-là, il m’inspirait une peur horrible, dégradante, mais mon camarade Trissaud qui était assis à ma gauche, souriait ironiquement sous l’orage avec une bravoure qui me semblait inexplicable. Il était le fils d’un officier […]
En sixième nous étions des hommes. Nous passions en effet sous la domination de M. Mougeot qui nous parlait comme à des grandes personnes et nous tenait un langage d’autant plus flatteur pour la plupart d’entre nous qu’il était incompréhensible. À cause de cela nous l’aimions ; sa colère même nous plaisait. Car la colère de M. Noyer était tout bonnement épouvantable comme la colère du taureau que travaille un taon, mais M. Mougeot ne renonçait jamais au beau langage et sa colère avait un mouvement superbe […]
Toutes ces choses me reviennent confusément à l’esprit quand je vois des enfants courir dans la rue avec leur serviette sous le bras. J’ai conservé de mes années de collège un grand respect pour mes professeurs. Il me semble en effet, que la France de ce temps-là n’avait rien de plus honnête, de plus sérieux ni de plus désintéressé que le corps enseignant. Si différent qu’ils fussent les uns des autres, mes professeurs avaient en commun ceci que je n’ai pu démêler qu’avec le temps : c’étaient des idéalistes… »
Julien Green, « octobre 1933 », Journal 1928-1934, Librairie Plon, 1938, pp. 155-156.
Voir aussi :
- ( sur Terres de femmes) 23 septembre/Julien Green, Journal 1928-1934.
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