Alberto Giacometti (dont on fêtera demain l'anniversaire de naissance), Fondation Maeght En surimpression, "mekake" = "concubine" Ph., G.AdC JOURNAL D'UN VIEUX FOU « Décidément, il vaut mieux que je la voie : je vais trouver un moyen, d’ici deux ou trois jours, pour l’inciter à venir… » Or, cet après-midi, une bonne idée me vint à l’esprit. Sans aucun doute et dès cette nuit, ma main me ferait souffrir à nouveau - non pas que cette perspective me plaise - et je profiterais du moment culminant de la crise pour la faire appeler. « Satsuko, Satsuko, j’ai mal, j’ai mal, au secours ! » hurlerais-je comme un enfant. Elle entrerait alors, incrédule : « est-ce qu’il pleure sérieusement, ce vieux ? Qui sait ce qu’il a derrière la tête ! » se dirait-elle avec méfiance, tout en feignant hypocritement la surprise. « Je veux parler à Satsuko seule, que tous les autres me fichent le camp ! » crierais-je à nouveau pour chasser Sasaki. Alors nous serions en tête à tête, et je pourrais l’aborder, voyons, par exemple… « J’ai maal, aïe, aide-moi ! - Bien sûr, bien sûr, qu’est-ce que je peux faire ? Dis-moi, je ferai comme tu veux, parle ! » … Si elle pouvait réagir ainsi, je la tenais, mais il y avait fort peu de chances qu’elle fût aussi imprudente. N’y avait-il pas un moyen plus efficace de la séduire pour de bon ? - Si tu m’embrasses, j’oublierai que j’ai mal ! « Non, sur la jambe ça ne suffit pas ! « Non, même un « necking » n’est pas assez ! Je veux un vrai baiser ! » Je pourrais sans imposer mes caprices, sangloter bruyamment, pousser des hurlements. Toute prévenue qu’elle fût, elle finirait peut-être par céder. Et pourquoi ne pas mettre ce plan à exécution dans les deux ou trois jours à venir? J’ai parlé du « moment culminant de la crise », or je pouvais tout aussi bien ne pas vraiment souffrir, mais tout simplement simuler. Il valait mieux toutefois, qu’au moins je me rase. N’ayant pu le faire depuis quatre, cinq jours, j’avais le visage envahi par la barbe. Evidemment l’effet de grand malade en serait garanti, mais, songeant à mon baiser, je ne pouvais rester aussi hirsute. En revanche, je ne remettrai pas mon dentier. Et, discrètement, je me nettoierai l’intérieur de la bouche... » Junichirô Tanizaki, Journal d'un vieux fou, Extrait de la journée du 9 octobre, Gallimard, Collection Folio, 2002, pp. 132-133. MON COMMENTAIRE : Le journal n’est pas daté. Seule nous est donnée la mention des jours et des mois. Le journal s’étire sur quelques mois à peine, de juin à novembre de la même année. Il est complété par deux bulletins de santé et un extrait des notes prises par la fille du narrateur pendant la maladie de son père. L’extrait que j’ai choisi de mettre en ligne aujourd’hui rend compte de l’état d’esprit du narrateur, vieillard malade, acariâtre et impuissant, mais pervers et libidineux. Il n’a de cesse de titiller sa belle-fille afin qu’elle entre dans ses jeux de séduction et de perversion. Mais la jolie jeune femme, sûre de ses pouvoirs, tient la dragée haute au vieillard… |
JUNICHIRŌ TANIZAKI ■ Pour en savoir plus sur Journal d'un vieux fou de Tanizaki ▼ → Télécharger Petites cruautés ordinaires d'un vieux fou, un article d'Angèle Paoli mis en ligne sur Zazieweb le lundi 10 octobre 2005 ■ Junichirô Tanizaki sur Terres de femmes ▼ → 1er janvier **** | Junichirô Tanizaki, La Confession impudique → 10 juin | Junichirô Tanizaki, La Clef |
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Il n'a pas sa tête, c'est moi qui te le dis,
Il est libidineux, grossier,
ah il pense que je ne l'ai pas compris ?
ah ! il croit que je me jetterai à ses pieds comme les femmes qu'il a séduites il n'y a pas encore longtemps !
Ah ! le chien, ah le porc, ah le fou.
il me dégoûte, me rebute.
mais je vais partir,
son fils qui est mon époux me capture ici pour que je m'occupe de ce vieillard libidineux, pervers..
et mon mari deviendra t-il comme son père.
je n'attendrai pas. il me faut partir. La valise.. vite avant qu'il ne crie qu'il souffre... sa main... tu parles... sa main...
la valise rouge qui était sur le placard dans la chambre n'y est plus. mais où est -elle. j'ai cherché partout, dans la chambre, dans la cuisine, dans le couloir, dans le cellier.. pas de valise.
c'est lui qui l'a prise j'en suis certaine ! ce vieux fou.
ah il crie. j'ouvre la porte de la cuisine. je descends les marches. je cours dans la rue. je suis partie. je suis libre. qu'importe si je n'ai pas de valise. qu'importe !
Clem
Rédigé par : clem | 09 octobre 2006 à 22:31
ho pubblicato sul mio nuovo blog un omaggio al femminino fatto con amica di grande spessore umano e culturale.. avrei piacere se tu lo vedessi_leggessi..
roberto matarazzo
Rédigé par : roberto matarazzo | 10 octobre 2006 à 10:55
Eh oui, Clem, les choses auraient pu se terminer ainsi que tu l’as imaginé. Pourtant, si mes souvenirs sont bons (je n’ai pas l’ouvrage à ma disposition), Tanizaki a choisi une toute autre issue au Journal d’un vieux fou . Une issue moins « féministe », et néanmoins fort intéressante. La jeune femme, en digne héritière des leçons qu’elle reçoit de son maître, le surpasse dans la voie de la perversité. Sûre d’elle et de ses pouvoirs, elle exerce sur le vieil homme une pression et un chantage permanents; manipulatrice très exercée, elle se sert de l’impuissance de son amant pour assouvir ses désirs de coquette et le contraint à délier pour elle les cordons de la bourse. A défaut de mieux, bien sûr. Ce qui est terrible et terrifiant, au-delà de la perversion qui relie les amants, c’est l’extrême lucidité du vieillard qui soigne son ennui et ses désarrois en se livrant sans répit à des analyses extrêmement fines sur son comportement et sur celui de la jeune femme qui le plume.
Du grand art, en réalité chez ce vieux fou libidineux, en pleine possession des ses moyens psychologiques. Et du grand art chez Tanizaki qui reste le « Deus ex machina » incontesté de cet univers japonais aux accents sadiens.
Rédigé par : Angèle Paoli | 11 octobre 2006 à 22:27