Image, G.AdC Paris, 24 octobre 1904 [Je ne trouve pas que ces jours anniversaires soient bien propres à inspirer la gaieté...] J’ai reçu, ce matin, ta lettre, ton télégramme de souhaits de fête et la copie de la fin de « Dans la vie ». Merci de tout cela. Le roman prendra demain le chemin du Mercure et puis… les dieux lui assureront le sort qu’il lui plaira. Faible et pas intéressant le milieu de ce roman. Le début me plaît, les scènes un peu heurtées du commencement du séjour des deux femmes à Paris ont une certaine originalité, puis cela tombe […] Oui, c’est ma fête aujourd’hui. Je ne trouve pas que ces jours anniversaires soient bien propres à inspirer la gaieté, surtout dès que l’on commence à avancer en âge et à avoir l’expérience de la vie… L’anniversaire de naissance n’est en somme que la commémoration de la farce sinistre que nous ont faite nos parents en nous mettant au monde. Voilà un sujet qui ne prête guère aux réjouissances. Naturellement mes délicieux parents ne m’ont point donné signe de vie. Ils l’ont oubliée, eux la date funeste, ils ont aussi, depuis longtemps oublié qu’ils ont une fille. Alors, mon ami, tu juges que je ferai bien de rester ici, jusqu’à la fin de l’année. Probablement présumes-tu qu’alors tu pourras me recevoir sans dérangement. J’aurais sans doute tort d’insister. Il ne faut pas vouloir faire du bien aux gens en dépit d’eux et contre leur volonté. C’est une faute dans laquelle un grand nombre tombe. Pourtant chacun sait mieux que personne ce qui lui convient personnellement. Et encore que cette convenance propre ne soit point en accord avec l’utilité réelle ou la raison ? De simples entités métaphysiques et tout le monde ne se nourrit pas de semblable fumée. […] Je ne reviendrai donc pas, tu ne manquerais pas de donner maintenant, à ce retour anticipé des raisons, toutes différentes de celles qui me détermineraient : affection très sincère et réel désir de t’être utile, de ne pas t’abandonner dans une situation difficile pouvant exercer une influence pernicieuse sur ta santé. […] Triste, triste tout cela, mon ami ; pas gaie ma fête, jamais gaie, du reste, aussi loin que je remonte dans le passé, quel vide autour de moi ! J’aurais été très douce pour toi si, de parti pris, tu n’avais pas toujours voulu me ravaler stupidement, me railler sans motifs, m’enliser dans un ordre d’idées abjectes où je m’étais égarée. Je suis malheureuse M. Néel. Vous qui me promettez tant de soleil, pourquoi m’avez-vous jetée dans la nuit ? 24-10-1904. Je ne veux pas laisser partir, sans y ajouter un mot, une lettre qui te laisserait, peut-être, sous une impression de tristesse dont tu n’as pas besoin. Il est peu philosophique de reprocher à un autre l’état d’esprit dans lequel on est et qui provient, surtout, de son propre organisme. Un autre y eût-il contribué comme facteur déterminant, cet autre était-il libre d’agir autrement ?... Hérédité, atavisme, éducation, enchaînement perpétuel des effets et des causes. Je suis une mauvaise bouddhiste de l’oublier, et si je t’ai contristé je le regrette. Donne ta main mon pauvre cher Mouchy que je la serre affectueusement. Alexandra David-Néel, Correspondance avec son mari, Édition intégrale 1904-1941, Plon, 2000, pp. 42-44. |
■ Alexandra David-Néel sur Terres de femmes ▼ → 14 avril 1912 | Lettre d’Alexandra David-Néel à Philippe Néel → 9 mai 1917 | Lettre d’Alexandra David-Néel à Philippe Néel ■ Voir aussi ▼ → le site du Centre culturel Alexandra David-Néel → (sur YouTube) Alexandra David-Neel - Orientaliste tibétologue journaliste écrivaine (document d'archives sonores INA) |
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