LAMENTU DI U CASTAGNU (EXTRAIT) « Passemm’ una siratina ‘ Ntorn’ à lu nostre fucone Cun tutta la famigliola Cantavanu lazzarone Nun ti n’arriccordi piune Di quella bella sirata Tu pigliasti la paghjola Da facci una pulintata L’emmu passatu cusine Lu restu di la nuttata La morte di lu castagnu Ha messu tutti quici in dolu E troncu lu pulindaghju Tavvunat’ è lu paghjolu Sarà prima vistu ΄nlocu Quistu tamantu flagellu D’avemmi jucat’à quarti Cumm’un boiu a lu macellu Aval si ch’è al riposu Lu stacciu e lu tavulellu Ni è calmatu gli è l’orgogliu Hanu biotu la cassetta Pà empie u portafogliu Ripiantate lu castagnu Pa lu ben ch’eu vi vogliu » (Version transposée par l'ethnomusicologue Félix Quilici. Archives sonores du département audiovisuel de la BnF). « Nous avons passé une soirée Autour de l’âtre Avec toute la petite famille On chantait tranquillement Tu ne te souviens plus De cette belle soirée Toi tu as pris le chaudron Pour faire une polentade Nous avons passé ainsi Le reste de la nuit. La mort du châtaignier A plongé tout le monde dans le deuil Le bâton à polenta est cassé Et le chaudron est troué A-t-on jamais vu nulle part Pareille calamité ? Me jouer au loto Comme un bœuf à la boucherie ! Maintenant ils sont bien au repos Le tamis et le plateau à polenta ! La fumée s’est arrêtée Et l’orgueil s’est tu On a vidé la caisse Pour remplir le portefeuille Replantez le châtaignier Pour l’amour que je vous porte. » Ce « lamentu » traditionnel en l’honneur du châtaignier (« lu castagnu ») pourrait être originaire de la Castagniccia, où le châtaignier règne en maître. Selon Felix Quilici, cette complainte provient pourtant d’une tout autre région, située à mi-chemin entre Corte et Ajaccio, et aurait été transférée par la suite dans la région de Tagliu. La région de Guagnu est elle aussi riche en châtaigneraies. Mais en Corse, dès que l’on s’éloigne de la mer et que l’on gagne les premiers versants des collines, l’on entre toujours dans le domaine des châtaigneraies. Les forêts de châtaigniers, encore fort nombreuses malgré les incendies, offrent, l’été, leur ombre bienfaisante et leur fraîcheur. Et l’hiver, le fruit qui nourrit bêtes et hommes depuis le Moyen Âge *. Ph., G.AdC Arbres puissants et majestueux, les châtaigniers fournissent leur fruit dès l’automne où commence « a cugliura » (la cueillette). Cette activité familiale se pratique à l’aide « di a ruspalla », petite fourche à trois dents, qui permet de rassembler les fruits en tas. Puis les sacs sont chargés à dos d’ânes et de mulets et vidés dans le « chiostru », petite enceinte où les châtaignes sont momentanément entreposées, à l’écart des villages (=> « chiostru » de Pastricciolla. Ph., G.AdC). Fin décembre, la récolte s’achève. Mis à sécher sur de vastes pierres ou étalées dans les greniers au-dessus du « fucone » (le foyer), les fruits finissent de sécher. Il faut ensuite procéder à l’écorçage, passer au crible les châtaignes et les trier. Les plus belles d’entre elles sont conservées dans « u cascione », sorte de pétrin (« meria »), en bois de châtaignier aussi bien sûr ! Les plus dures sont destinées à la fabrication de la fameuse farine de châtaigne. Délicieuse « pulenta » qui agrémente viandes et produits de la chasse: ragoûts de sanglier et gibiers divers. Mais aussi de savoureux desserts : tartes aux pignons (ou aux noix), beignets, marrons glacés et miel de châtaigne. Bière et alcools. Quant aux cochons et aux sangliers que l’on croise sur les routes et les sentiers, ils ne se délectent pas seulement de châtaignes, mais de tout ce que les hommes ont abandonné au bord de la route. Il n’y a pas de plus grand bonheur, le soir, que de rêver au coin de la cheminée tout en attisant les braises avec les « ferlucci », qui prennent feu comme de l’amadou. Et d’écouter crépiter les châtaignes dans « u frissughjolu », une vieille poêle percée de trous. Angèle Paoli * « La castanéiculture remonte au Moyen Âge. [...] En Corse, elle sera encouragée dès le XIVe siècle par les marchands génois qui administrent l'île jusqu'en 1768 avant de la vendre à la France. Dès cette époque le châtaignier justifie sa réputation "d'arbre à pain" ou d'arbre de la Providence, car jamais pays de châtaigniers n'a connu la famine. » Philippe Lemaire, Il était une fois la châtaigne, Lyon, éditions Xavier Lejeune, 2001, page 19. |
■ Voir aussi ▼ → (sur Wikipedia corse) l’intégralité des paroles du Lamentu di u castagnu (La complainte du châtaignier) : autre version composée par Paoli di Tagliu (Anton' Battista Paoli, 1858-1931) en 1858 → (sur Terres de femmes) Jean Lorrain | « Le châtaignier, cet ancêtre ! » → (sur Terres de femmes) Le temps des châtaignes → (sur Terres de femmes) Jean Lorrain | Je veux faire la vendetta » → (sur Terres de femmes) 5 janvier 1904 | Lettre de Jean Lorrain à sa mère → le site Jean Lorrain, site mis en ligne en 2006, année du centenaire de la mort de Jean Lorrain. |
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Merci, Angèle, de ce texte, qui m'évoque plein de beaux souvenirs: les rayons du soleil d'automne qui passent à travers le feuillage doré, cette odeur de terre, de feuilles mortes, de champignons. Et le silence paisible dans la forêt qui est parfois interrompu par une châtaigne mûre qui tombe.
Je suis impatiente d'y aller ! Toi, profite au maximum!
Rédigé par : Ouchy | 23 septembre 2006 à 18:31
=> Bonsoir, Ouchy! Eh oui, c'est déjà l'automne, avec tout un mélange fusionnel de cyclamens sauvages éclos le long des sentiers, de buissons d'asperges en bourgeons... et, jusqu’à hier, une chaleur de presque incendie qui a fait de la baignade un vrai délice. Les girolles ne sont pas encore sorties et "Le voile de la mariée", grossi par les pluies diluviennes de la semaine passée, déboule le long de sa pente en jouant de l'arc-en-ciel. Son crépitement empli de fraîcheur me comble. C'est magique! Patience, patience, octobre approche!
=> Salve, Gabriella, ti ringrazio tanto. Mi fa molto piacere la tua presenza attenta a quel che succede alla nostra trilogia sulle terre isulane. Spero di potere trovare presto un ritmo più regolare di lavoro e di scambio. Ho anche una sorpresa per te, ma bisognerà aspettare un attimo ancora.
=> Isabelle, bienvenue à vous, silencieuse lectrice.
Rédigé par : Angele Paoli | 24 septembre 2006 à 20:48
Très beau texte, nous avons beaucoup apprécié la version chantée.
Rédigé par : Emmanuel | 31 juillet 2009 à 16:08
On dit chez nous, au Pays Basque, que les Seigneurs sauvages des montagnes (Basajaun, Basandere), détenteurs des pouvoirs de la nature, ont offert à l'homme le secret de la scie par simple observation de la forme de la feuille de châtaigner, en suggérant à notre petit peuple de reproduire la ligne dentelée sur du métal (d'autres racontent que l'homme a obtenu ce secret par filouterie, je n'interviendrai pas dans la polémique, n'étant pas si éloignée de ces lieux de mystère, on ne sait jamais).
Ici aussi, le châtaigner a eu un rôle essentiel dans les temps anciens.
Amitiés
Rédigé par : johal | 02 août 2009 à 15:50
Je préfère la première version, Johal, plus pacifique. Ce rapprochement avait échappé à mes observations de la nature mais il me semble parfaitement judicieux. Je crois depuis longtemps déjà que tout est contenu dans la nature. Le génie de l'homme semble reposer dans sa capacité à passer de l'observation à la conceptualisation métaphorique. Tout inventeur est avant tout un poète.
Rédigé par : Angèle Paoli | 03 août 2009 à 00:32