Maria Maïlat,
Klothô,
Éditions Jacques Brémond, 1999.
Gravure de Maria Desmée.
Prix Ilarie Voronca 1998.
Lecture d’Angèle Paoli
Ph., G.AdC
KLOTHÔ OU DE L’AMNÉSIE BALKANIQUE
Divinité lunaire et figure du destin des hommes, Klothô guide la main de Maria Maïlat. Aveuglée de souffrance et de détresse, la « fille-femme », sœur de la Moïra qui préside à la vocation du recueil Klothô, confie son désespoir au filage des mots. En même temps qu’elle crie sa révolte, Maria Maïlat tisse et retisse, à travers ce recueil, l’histoire tragique de son pays et l’histoire éclatée de sa langue maternelle.
Dédiés à sa mère, « qui survit et rêve dans une autre langue », les poèmes à Klothô retracent l’enfance piétinée et meurtrie de celle qui dut s’exiler en langue étrangère. Sœur d’Ariane, autre douloureuse dévideuse de fil, et de Médée la « barbare », qui « traverse la vie en ennemie », Maria Maïlat déroule en cinq séquences l’espace poétique de la dénonciation et de la révolte. Sa parole iconoclaste éclate en images de sang au visage de ceux qui sont pour elle « sans visage ». Derrière la bibliothèque en ruine, sous les tissages violents de Babel, Maria Maïlat tente de reconstituer un destin malmené par la barbarie des hommes. « Qui es-tu », s’interroge-t-elle, « l’écriture de qui ? ». Elle est la « Muette », « l’Étrangère », « arrachée à toutes les langues maternelles » et qui dansait, jadis, pour tenter de survivre à la violence aveugle infligée par les hommes.
Mais les mots parfois s’étranglent et avortent dans la solitude de l’indicible. Dans « l’éclipse totale d’espoir » qui est la sienne, la « Muette » s’en remet à Klothô. Et, tandis que se poursuivent le fracas des armes et le sacrifice des enfants, elle se laisse happer par les bras de celle qu’elle nomme sa « racine parlée », sa « clocharde bavarde ». Ensemble, au-delà « des Portes de l’Orient », elles fuient les combats fratricides qui enlèvent aux mères leurs enfants et aux enfants leurs rêves. À tous leur individualité et leur avenir.
Trempés dans des « larmes d’acier », les poèmes à Klothô, tressés de mots de sang et de mort, plongent dans la chair mythique des Balkans. Et rejoignent l’universel dans le poème inattendu aux indiens Yanomamis.
Au questionnement implicite du pourquoi de l’écriture qui sous-tend la texture du recueil, Maria Maïlat répond :
« J’écris pour effacer la trame
de ma misère dissimulée
dans l’abondance bruyante
des singes ».
« Passeport pour l’éternité », la poésie de Maria Maïlat est peut-être aussi tentative ultime de tirer son pays de « l’abîme sublime » qui l’a englouti. Et de lui restituer sa mémoire.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
BIBLIOGRAPHIE de MARIA MAÏLAT
Romans
S'il est défendu de pleurer, traduit du roumain par Alain Paruit, Robert Laffont, 1988
Sainte Perpétuité, Julliard, 1998
La Grâce de l'ennemi, Fayard, 2000
Quitte-moi, Fayard, 2001
La Cuisse de Kafka, Fayard, 2003
Silences de Bourgogne, Editions de l'Armançon, 2004
Nouvelles
Avant de mourir en paix, Fayard, 2000
Poésie
Trans-sylvania, pastels de Gianne Harper, Signum, 1998
Cailles en sarcophage, dessins de Lisa Delgado, Editinter, 1998 et 2001
Klothô, gravures de Maria Desmée, Jacques Brémond, 1999
Graine d'Antigone, dessins de Lisa Delgado, Editinter, 2000
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Angèle,
J’ai parcouru votre site. C’est exceptionnel. C’est une merveille.
Mon éloge s'adresse à cette créature «angélique» qui ne cesse de rendre notre quotidien moins agressif, mieux vivable et surtout plus tolérable.
Vous célébrez la femme dans toute sa splendeur. La femme savante. La femme divine. La femme vénérée et sacralisée par les civilisations antiques et modernes. Toutes les femmes sélectionnées par vos soins sont des perles rares et précieuses, qui véhiculent à travers leurs pensées les valeurs de l’amour, de la résistance, de la générosité,de la bonté. Vous avez bien fait de rassembler leurs visions disparates et composites dans un cadre convivial et harmonieux, qui consacrera la pérennisation de leur rayonnement et de leur sagesse.
Votre espace est un carrefour de femmes créatives par excellence. Baudelaire disait à sa bien-aimée dans le « Balcon » : « Je crois respirer le parfum de ton sang » et moi je perçois de ma terre lointaine les souffles et haleines ininterrompus de celles qui ont la prédilection de Terres de femmes. C’est normal parce qu’elles sont en marche perpétuelle et accélérée pour ingénier un monde meilleur, un cadre ambiant, une esthétique raffinée et sublime.
Rendre hommage à toutes ces femmes, c’est témoigner du grand respect que j'ai pour la conceptrice de ce site. Une Autre femme qui œuvre pour la vénération des regards doux et des visions éclairées de ces heureuses élues.
Angèle, Vous êtes une veilleuse autour de laquelle survolent et planent des papillons et esprits féminins. Bravo pour cette œuvre grandiose où j’espère voir englober et intégrer d’autres âmes souffrantes et lumineuses.
Puissent ces mots qui émanent de mon for intérieur vous exprimer au mieux ma grande admiration pour votre travail.
En Sympathie
Rédigé par : Salomane | 14 septembre 2006 à 12:57
Bonjour Angèle,
j'ai été très touchée par votre chronique qui resitue parfaitement ce recueil de poèmes. J'ai souvent pensé à notre échange, surtout que je suis en train d'écrire un roman où les temps se heurtent à l'infini et à la mort.
Parlons-nous!
MERCI encore,
maria M
Rédigé par : Maria maïlat | 14 septembre 2006 à 23:35
Bonsoir, Salomane et bienvenue en terres amies. Merci de ce long courrier, si émouvant auquel je n’ai, hélas, pas eu le loisir de répondre aussi rapidement que je l’aurais voulu. Merci de ce que vous me dites. Cela me fait chaud au cœur et j’ai besoin, pour poursuivre mon travail dans la voie que j’ai choisie, de témoignages comme le vôtre, emplis d’estime et d’amitié, vraie !
Je vous imagine volontiers fière descendante de la reine Méroé, voguant dans les déserts brûlants aux confins du Nil Bleu et du Nil Blanc. Mais peut-être n’êtes-vous pas aussi éloignée géographiquement que ce que je le dis. Quant au cœur et à l’esprit, je crois qu’ils sont de même nature. Et c’est bon de le savoir.
En sympathie, vraiment.
Rédigé par : angelepaoli | 16 septembre 2006 à 00:06
«Correspondances d’artistes»
Samedi 20 janvier à 15h00
à L’Odéon–Théâtre de L’Europe : Grande salle
Place de L’Odéon
75006 PARIS
M° Odéon/RER : Luxembourg
Bus : 63, 87, 86, 70, 96, 58
Lecture des textes inédits
de Maria Maïlat et Pierre Péju
par Carole Bergen et Valérie Delbore
suivie d'une rencontre entre le public, les deux auteurs, les deux lectrices et Krystian Lupa, metteur en scène de Zaratustra, débat animé par Sylvie Gouttebaron, Directrice de la Maison des Ecrivains.
Entrée Libre
Réservations souhaitées
site : http://www.motsparleurs.org
courriel : [email protected]
tél. : 01 40 09 74 23
Rédigé par : Agenda culturel de TdF | 05 janvier 2007 à 23:47
Un petit mot de Maria Maïlat m’informe que le mardi 23 janvier, elle sera accueillie par le maire d'Evry (inauguration à 18h30) pour une résidence d’écrivain de six mois à la Maison de quartier Jacques-Prévert d’Evry (402, square Jacques-Prévert. Tél. : 01 60 78 73 19).
Je cite ci-dessous un extrait du courriel de Maria :
«Après l'idyllique Bourgogne, me voilà arpenter un des «grands ensembles» les plus stigmatisés de France avec une idée très forte, écarlate, vivante de femme avec des olives dans un sac et un cahier+stylo dans les poches. Quelle autre résistance que celle qui tisse les plis, les rencontres, les mots qui se foutent des barrières... »
Rédigé par : Angèle Paoli | 19 janvier 2007 à 22:12