Anthologie poétique TdF - mois d'août 2006
Les Sanguinaires (Corse)
Ph, G.AdC
Une île
Si celui
ou celle
qui aime
tombe
sur une route
sur une île
en volcan à pic
sur la mer
où le sable brûle
et l’eau
sort de terre
en source chaude
sa blessure se brûle
et ne cesse plus
: il - ou elle
a sur la cheville
un lieu du corps
ouvert
qui bouillonne et fait mal
c’est par là que la vie
est visible et brûle
fenêtre sur le corps
vaste espace animé - deviné
intérieurement : rouge
Ceux qui ne sont pas dans l’amour
soignent leurs blessures
par onguents par lotions
et pansements qui les rassurent
Ceux qui aiment
ne soignent rien
regardent
écoutent battre le sang
qui vient du fond
attendent
la douleur inconnue
volant
sur la montagne
Ils ont
un corps orienté qui s’avance
calmement et prenant toute la place
sur la pente
Jacqueline Risset, Petits éléments de physique amoureuse in La Polygraphe, Le corps certain 1990-2000, Editions Comp’Act, pp. 93-94.
En feuilletant Le Corps certain (une anthologie poétique publiée dans le N° 17/19 de La Polygraphe, Editions Comp’Act), je tombe sans le vouloir sur une photo de Claude Fournet (« Portrait d'ancêtre, Corse »), qui ouvre le poème « Une île » de Jacqueline Risset. Étrange photo, davantage évocatrice d’un paysage nocturne d’Odilon Redon que d’un ancêtre. Mais peut-être, avec le temps et l’usure qui accompagnent toutes choses, les hommes, leurs apparences livides de fantômes, leurs visages incertains finissent-ils par se fondre dans la nuit et dans son masque lunaire.
Je me suis demandé à cette occasion si Jacqueline Risset, spécialiste de Dante et traductrice de son œuvre, avait des ancêtres corses. Réflexe purement sentimental et atavique. Je n’ai rien trouvé pour l’instant qui le laisse accroire. Son « île », « Une île », est un poème extrait du recueil Petits éléments de physique amoureuse (Gallimard, 1991). J’aime ce titre, évocateur de mystérieux quanta en ébullition, à l’œuvre à notre insu dans toute forme, dans toute activité, dans toute rencontre. À l’oeuvre aussi sans doute dans le fusionnement amoureux.
Ce poème est un voyage. Un voyage au cœur des quatre éléments. Traversés, terre, mer, air et feu, le temps de quelques vers très brefs. Un paysage surgit des eaux, île ou volcan, peu importe, les deux peut-être ! Une blessure écorche le marcheur/la marcheuse ? Peu importe « il » ou « elle » ! L’écorchure, elle, va son chemin, trace ses lignes rouge sang jusques à l’intérieur des corps.
Et
« Ceux qui aiment
ne soignent rien ».
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Ph, G.AdC
Voir aussi :
- (sur Terres de femmes) Jacqueline Risset/A.Z. ;
- (dans la galerie Visages de femmes de Terres de femmes) un Portrait de Jacqueline Risset (+ un extrait de Introduction de Dante, L’Enfer, Flammarion, 1985) ;
- (sur le site du cipM - centre international poésie Marseille) une fiche bibliographique sur Jacqueline Risset.
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