Ph., G.AdC
[QUI A CRIÉ ?]
Ma bien-aimée est noire » comme la nuit, mais sa beauté resplendit comme douze étoiles. Mille clartés qui ont dissipé la ténèbre intenable.
Qui a crié ? J’ai entendu un cri aussi sonore que mille bracelets s’entrechoquant. La beauté de ce cri surpasse toute musique ; la beauté de ce cri résonne comme mille « oui » qui traversent les astres, transpercent les grandes ténèbres, trouvent la nuit universelle et, à force d’être proférés, l’inclinent contre leur épaule et de toute angoisse guérit l’univers même.
J’ai entendu un cri long de plusieurs nuits sans jours, long comme une viole de douceur inconcevable.
Qui a crié à travers les domaines interdits ? Qui a crié, nu à la face des astres ? Qui a crié, qui m’a trouvé ? Tapi, tout petit, dans l’antre du léopard ? Qui s’est élevé au-dessus de la voûte océane ? Qui m’a pris dans son cri et m’a mené en un lieu aux faces ineffables, planté hors du jour et de la nuit ?
Que ce cri soit béni et me tienne soumis dans ses échos d’or fin ! Que ce cri fasse de moi son prisonnier et veuille me garder en sûreté au-delà de la dernière nébuleuse, tout proche et tout loin ; aussi lisse, aussi doux que la peau de ma bien-aimée.
Alors que ce cri n’ait pas de fin, ô bouche inexprimable ; continue de me porter sur tes ailes. O cri ! Approche de moi ce qui n’a pas encore de nom ! Sous cette livrée sonore, je veux indéfiniment Te vénérer.
Vincent La Soudière, Brisants, Arfuyen, 2003, pp. 31-32. Texte établi et présenté par Sylvia Massias.
NOTICE BIO-BIBLIOGRAPHIQUE
Né le 6 septembre 1939 à Port-d’Envaux (Charente-Maritime), Vincent de La Soudière, dit Vincent La Soudière, est décédé à Paris le 6 mai 1993. De son vivant, il n’a publié qu’un seul recueil : Chroniques antérieures (Fata Morgana, 1978, frontispice de Michaux) et quelques poèmes dont L'Arrière-Garde (tiré à la main sur les Presses de l'atelier à Neauphle-le-Château avec trois eaux-fortes de Gilles Alfera, 1988). A aussi été publié en 2002 In memoriam Francis Bacon, aux Éditions Le Capucin. Cet auteur méconnu laisse de nombreux écrits fragmentaires, et surtout le témoignage bouleversant de son itinéraire intérieur dans la considérable correspondance qu’il a adressée à son ami Didier, correspondance qu’a fait publier Sylvia Massias aux Éditions du Cerf (C’est à la nuit de briser la nuit. Lettres à Didier, I [1964-1974], 2010 ; Cette sombre ferveur. Lettres à Didier, II [1975-1980], 2012 ; Lettres à Didier III [1981-1983], 2015).
« Homme de la vie intérieure, s’il en est un, [Vincent La Soudière] a, par scrupule assurément, tardé à publier, parce que, responsable des subtiles et graves réalités psychiques qu’il allait montrer, il voulait avoir dépassé le stade de la surprise et pouvoir écrire comme quelqu’un en qui d’emblée on a la foi.
L’ayant rencontré plusieurs fois je sais qu’il n’écrira jamais rien de gratuit. Ce qu’il fera connaître est important. À cela seul s’emploiera sa pénétration singulière. On ne l’imagine pas autrement » (Henri Michaux).
Ainsi que le souligne Jean-Yves Masson dans Le Magazine littéraire (septembre 2003, page 81) : « À peine achevé, le XXe siècle change de visage. Bientôt, nous ne le reconnaîtrons plus. Des auteurs dont l’existence nous aura échappé se révéleront essentiels, et Vincent La Soudière sera peut-être l’un d’eux. […] Ami proche de Michaux, de Cioran, qui lui témoignèrent à plusieurs reprises publiquement leur admiration, il laisse une œuvre manuscrite d’une ampleur considérable. […] Toute de tendresse sévère et de lucidité, l’œuvre de Vincent La Soudière commence son chemin dans le monde. La plus belle surprise [de cette année], en poésie, est la découverte de cet auteur secret. »
j'avoue que je suis généralement fascinée par le pouvoir de la Poésie, par la figure du Poète, par son rôle privilégié de pénétrer "dans le domaine mystérieux des correspondances..." .
Le surcroît de ce charme est le plaisir esthétique du langage particulier de chaque poète, et naturellement les émotions dérivantes qui touchent toutes les cordes intimes...
...je dois te remercier de m'avoir donné la possibilité de connaître cette inoubliable poésie d'un poète - que je ne connaissais pas - et "...dont l’existence..." ne devait pas nous échapper !
amitiés, mon amie.
Rédigé par : madeinfranca | 02 juillet 2006 à 20:55