Egon Schiele, Jeune fille aux cheveux noirs, 1911.
Aquarelle et encre sur papier, 56,2 x 36,7 cm.
The Museum of Modern Art, New York.
Source
LA ROBE MERVEILLE
Quelque part, dans une ville de garnison de l’Empire (austro-hongrois ?), un vieil officier confie à un jeune aspirant croisé sur son chemin, l’histoire de la rencontre qui a bouleversé sa vie. La Robe de Robert Alexis est le récit de cette envoûtante confession, mais aussi le vêtement superbe et troublant dans lequel vient se glisser, comme à l’intérieur d’une nouvelle peau, à la fois appréhendée et désirée, un narrateur-héros en métamorphose.
Troublante, la robe que revêt le narrateur et troublant le récit dont le lecteur se fait le complice. Invité à se couler dans les colorations rouge et noir d’un climat fin de siècle, auréolé de satanisme. Tenu en suspens sur les marges de la guerre et de la mobilisation, dans les franges de l’attente, le jeune aspirant est invité à partager les inquiétantes ambiguïtés qui se trament autour des moires de ce fourreau superbe, porteur d’amour et de mort. Invité aussi à recueillir les folies du vieil officier. Folies rêvées ? Folies vécues ? Images de cauchemar et construction du réel s’entrecroisent ici sans qu’il soit possible de départager le vrai du faux. Car tout semble inversé dans l’univers où évoluent les personnages. La norme et les tabous, les théories et les pratiques, l’amour et ses mises en scène. Tout échappe, jusqu’au sexe du narrateur lui-même, soumis à de subtiles et cruelles machinations, habilement montées par un mercenaire/aventurier en fuite. Un manipulateur de génie, hanté par le désir d’atteindre ce qui est en lui « le point de retenue ». Un absolu dont il se libère en immolant sa propre fille !
Récit très condensé, troublant mais aussi trouble, La Robe dilue insidieusement son poison dans le sang de qui en a respiré les effluves. Des exhalaisons pernicieuses y poursuivent leur trajectoire indéfinie. Qui tiennent le lecteur tendu entre malaise et fascination, habité sans fin par les figures grimaçantes du récit et leur esprit modelé par les attraits de la décadence. Demeure, au-delà de dialogues enlevés et d’imbrications qui mettent les nerfs à vif, le style de l’auteur. Une écriture hors temps, elle aussi, d’un maître du sarcasme et de l’ambiguïté. Une écriture ciselée, qui tient narrateur et lecteur en suspens au-dessus de l’échiquier. Pareils tous deux à deux pions manipulés avec art. Sans fin de partie.
Robert Alexis, La Robe, José Corti, 2006.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Voir aussi : - la fiche-livre de José Corti. |
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