Nicolas Poussin (1594–1665)
Orion aveugle à la recherche du soleil levant,1658
Huile sur toile, 119,1 x 182,9 cm
The Metropolitan Museum of Art, New York
Fonds Fletcher, 1924.
Source
LA FRONTIÈRE EN POINTILLÉ
Passage des Gémeaux
« Nous sommes lucioles sur la brisure du jour. Nous reposons sur un fond de vase, comme une barge échouée.
Ces conflits entre le désir et l’esprit qui sème la désolation. Conflits d’où l’esprit sort vainqueur par le biais et non par le droit fil.
Le contraire d’écouter est d’entendre. Et comme fut longue à venir à nos épaules la montagne silencieuse. Pour que j’aie pu ouïr un tel tumulte une locomotive a dû passer sur mon berceau.
Dans sa lutte pour la vie, sans le mal aurait-il survécu ? Lui, l’homme blanc ? Puis il scella sa domination défleurante.
La multiplication, opération aujourd’hui maudite. De même la croissance. Et l’exploit : ils ne pouvaient traverser que sous le regard nervuré des dieux, lesquels se lassèrent de ne pas se reconnaître en eux.
Puis aux esprits de l’air. Donné aux verges de la terre. Déjà en naissant, nous n’étions qu’un souvenir. Il fallut l’emplir d’air et de douleur pour qu’il parvînt à ce présent.
Le dard d’Orion. Le trèfle étoilé. Dans la garrigue, miroir de ciel diurne.
Le trèfle obscurci… La cicatrice verte.
La trombe de la souffrance, le balluchon de l’espoir.
Un lac ! Qu’on nous l’accorde ! Un lac, non une source au milieu de ses joncs, mais un pur lac, non pour y boire, un lac pour s’offrir au juron glacé de ses eaux estivales. Qui sollicites-tu ? Nul n’est prêteur, nul n’est donnant.
Mains autrefois sublimes. Pas aujourd’hui comptés. Un vivre évasif, un long-courrier retenu jusqu’à son service d’évidence inutile.
Il y a une compréhension à tout, mais de ce filage monte un brouillard, une clameur de peur, et parfois notre haine traçante.
La réponse interrogative est la réponse de l’être. Mais la réponse au questionnaire n’est qu’une fascine de la pensée.
« Ton fils sera spectre. Il attendra la délivrance des chemins sur une terre décédée. »
Tel le peintre Poussin, je me lavais au vent qui durcissait mes ailes sans un regret pour ma mère disparue. »
René Char, Aromates chasseurs I [1972-1975], Œuvres complètes, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1983, pp. 515-516.
"Orion s'éprend de la Polaire
Les amants sont inventifs dans l'inégalité ailée qui les recueille sur le matin.
[...] Paysage répété au sommet de la nuit sur qui se lève une lueur.
[...] Les femmes sont amoureuses et les hommes sont solitaires. Ils se volent mutuellement la solitude et l'amour.
Toi qui nais appartiens à l'éclair. Tu seras pierre d'éclair aussi longtemps que l'orage empruntera ton lit pour s'enfuir. [...]
...Nicolas de Staël, nous laissant entrevoir son bâteau imprécis et bleu, repartit pour les mers froides, celles dont il s'était approché, enfant de l'étoile polaire."
René Char, Excursion au village.
Rédigé par : Yves | 19 juillet 2006 à 11:49
Je me souviens de ma visite à la Maison René Char avec le plaisir serein qu'offrait ce lieu où l'on retrouvait son bureau, sa table, sa chaise, plume et encrier, petite bibliothèque, reproduction de Georges de la Tour. Char enlumina quelques-uns de ses poèmes. Je crois (opinion toute personnelle) qu'il fut l'un des derniers poètes que l'on pourrait qualifier d'honnête, au sens d'honnête homme, de juste. Sa vie en témoigne comme son recueil, Recherche de la base et du sommet, où tout est mis là sous l'oeil, lettres, articles, poèmes, amis et "alliés".
Ce jour-là, une exposition soulignait sa collaboration avec Wifredo Lam. Dans le trait de l'un comme de l'autre, il y avait le silence. De celui qu'on accorde quand on est sûr de soi.
Rédigé par : Cordesse | 21 juillet 2006 à 21:54
L’intelligence avec l’ange, notre primordial souci. (Ange, ce qui, à l’intérieur de l’homme, tient à l’écart du compromis religieux, la parole du plus haut silence, la signification qui ne s’évalue pas. Accordeur de poumons qui dore les grappes vitaminées de l’impossible. Connaît le sang, ignore le céleste. Ange: la bougie qui se penche au nord du coeur.)
(René Char)
Vuoi provare a tradurre questo in italiano.
alfredo
Rédigé par : alfred | 03 avril 2007 à 18:49
Lisant un commentaire à propos de René Char, les bras m'en tombent quand j'entends dire que Char "fut l'un des derniers poètes que l'on pourrait qualifier d'honnête, au sens d'honnête homme, de juste..." J'avais déjà entendu cette phrase, l'autre jour, à propos de... Philippe Sollers, oui, oui ! Et pourquoi pas d'André Velter ?
Je sais que nous vivons une époque où il est dans l'air du temps de se lamenter, où même certains... "poètes" sont devenus de sinistres déclinologues avertis, - mais il suffit !
Cela sous-entend que tous les autres, depuis, sont des malhonnêtes, ne sont plus des hommes...
Œuvrons à la Résistance de la poésie, les temps que nous vivons vont avoir besoin de nous.
De la confiance, de l'espérance, de la ... Virtù !
Et point trop de moraline.
Le Dernier des Mohicans
Rédigé par : serge Venturini | 04 avril 2007 à 14:25
Saviez-vous, mon cher Serge, que selon les vieux "critères de pertinence" que nous ont enseignés nos maîtres en linguistique, "malhonnête" ne s'oppose pas à "honnête homme" ? Sinon, tous ceux qui ne sont pas malhonnêtes seraient des "honnêtes hommes".
Rédigé par : Yves | 04 avril 2007 à 15:03
Caro Alfred. Grazie della tua fiducia anche se la tua richiesta mi fa tremere ! Tradurre Char !!! Non mi ci sono mai assaggiata ! Temo di non avere le competenze necessarie, ne come poeta ne come traduttrice. Ma ti faccio una proposta, dopo una notte di riflessione :
"La connivenza con l’angelo, la nostra preoccupazione primordiale. (Angelo, quanto, all’interno dell’uomo, ci tiene fuori dal compromesso religioso, la parola del silenzio più alto, il significato che valutare non si può. Accordatore di polmoni che dora i grappoli vitaminizzati dell’impossibile. Conosce il sangue, non sa del celeste. Angelo: la candela che si china al nord del cuore.)"
Ecco. Spero di non sbagliare troppo ! Perchè non chiedere a Antonella Anedda o a Fabio Pusterla ?
Con amicizia
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 04 avril 2007 à 16:30
pour Rainer Maria Rilke, « Tout ange est terrible ».
Et qui, si je criais, m’entendrait donc depuis les ordres des anges ?
R-M.R.
Rilke a raison, tout ange est terrible, faut-il dire terrifiant ou effroyable ? Dans la descente aux royaumes des morts,
― il y a la traversée du monde invisible, ce combat qui durera jusqu’à l’aube dans le ravin de Yabboq.
Mais, de quel ange s’agit-il, chrétien ou plutôt musulman ? Ni l’un, ni l’autre. Ces oiseaux quasi mortels de l’âme sont une création du poète lui-même. Dans le combat contre l’ange toutes les frontières sont abolies, c’est le triomphe de la vie sur les forces mortifères, l’envol de la grâce contre l’esprit de lourdeur. Dans cette lutte, l’homme est dépassé, nous sommes dans le transhumain avec des mythes à re-construire. Pour Hans-Georg Gadamer, l’ange est « ce qui dépasse le domaine du sentiment humain. » Nos expériences sont donc au niveau du mythe. Que dit l’ange ?
L’ange dit ― l’indicible, il figure l’infigurable. Il dit ce qui avant lui n’était que dans les limbes du silence, mots, lambeaux de cris, qui par lui deviennent la parole, poésie.
― L’ange est une rose.
Rose, toi, ô chose par excellence complète
qui se contient infiniment
et qui infiniment se répand, ô tête
d’un corps par trop de douceur absent,
rien ne te vaut, ô toi, suprême essence
de ce flottant séjour ;
de cet espace d’amour où à peine l’on avance
ton parfum fait le tour. (Les Roses, III )
Pour Rilke, point « d’En-deçà, ni d’Au-delà, rien que la grande Unité où ces êtres qui nous surpassent, les « anges », sont chez eux. » L’ange des Elégies de Duino, ajoute Rilke dans sa correspondance, est le garant du plus haut degré de la réalité de l’Invisible.
Ce que toujours je retiens de Rilke, ― c’est sa perpétuelle modernité. Il est d’avant, d’ici et maintenant, et il est de demain, d’après-demain, d’où l’immense richesse d’interprétations de sa poésie. Où sont les jours de Tobie…
Rilke fut un ange, et nombreux sont ceux qui en le croisant n’ont pas perçu l’ange en lui. Le château de Duino fut détruit par la guerre, mais les Élégies de Duino demeurent comme la parole d’un lieu, une allégorie de la parole, nous dit Gerald Stieg. De cet endroit qui n’existe plus aujourd’hui que par la voix de Rainer Maria Rilke. La voix élégiaque de Rilke, voix du château de Duino…
Si l’ange est une rose, par miroir, la rose est aussi un ange. Dante nous le rappelle, au chant XXX du Paradis. Béatrice n’est-ce pas un ange ? Et, qu’offre-t-elle à son amant parvenu au dernier cercle ? Une rose, et quelle rose !
Au cœur jaune de la rose éternelle
qui monte et se dilate, exhalant son parfum
de louange au soleil toujours printanier,
comme fait qui se tait et veut parler,
Béatrice m’entraîna…
Après la descente aux enfers, l’ange comme la rose manifestent des présences. Ils sont indissolublement liés, car ce sont deux figures de l’amour, monde où les rêves nocturnes sont réconciliés avec les rêves diurnes, monde où les vivants et les morts coexistent,
― forment un tout.
Dans le combat de Jacob contre l’ange, symbole pour Rilke du travail poétique, dont Delacroix nous a laissé une merveilleuse illustration, le poète passe du monde visible au monde invisible. Ici, point d’ange Gabriel, ni de doux messagers au visage souriant annonçant la bonne nouvelle. C’est en cela que tout ange est terrible. Il faut se mesurer à une perfection pleinement épanouie et achevée, affronter un accomplissement sans le moindre défaut.
La Beauté engendre toujours un sentiment d’effroi, pour celui qui cherche à l’exprimer, à dire ce qui ne peut être dit, à dévoiler ce qui ne peut être révélé. Cette traversée de la face invisible du monde des visions exige des hommes un engagement total au-delà des forces humaines. Il faut des anges ou des géants pour s’opposer aux anges, ― et les combattre du visible en invisible.
Rédigé par : serge Venturini | 04 avril 2007 à 21:34