Lettres à Felician [Briefe an Felician, 1991],
Actes Sud, 2006, pp. 73-74.
Traduit de l’allemand et préfacé
par Pierre-Emmanuel Dauzat.
Lecture d’Angèle Paoli
Image, G.AdC « SOMBRES ET ROUGE SANG SONT MES DÉSIRS » Les Lettres à Felician, lettres d’amour sans réponse, ouvrent-elles des pistes inédites dans la littérature épistolaire ? S’agit-il de nouvelles lettres fictives ? Et si aucun visage précis ne se cache derrière le nom mystérieux de Felician, quel énigmatique projet guide Ingeborg dans l’écriture de ces lettres ? Écrites au sortir du cauchemar nazi, ces lettres sont peu nombreuses. À peine vingt en tout, rédigées en prose ou en vers. La première lettre, écrite de Vellach, village de la Carinthie paternelle d’Ingeborg, remonte au 16 mai 1945. Également écrite de Vellach, l’avant-dernière lettre, datée du 30 mars 1946. D’autres lettres sont censées avoir été écrites d’Innsbruck ou de Arzl. De Klagenfurt. Ou de nulle part. L’ultime lettre, celle sur laquelle se clôt la « correspondance » univoque d’Ingeborg, est datée du 2 avril 1946. Entre la première et la dernière lettre, de longs mois de silence. Ingeborg cesse d’écrire à son « unique ami » ou à son « maître », le 10 octobre 1945. L’essentiel des lettres d’amour à Felician couvre l’année 1945. Seules les deux lettres finales sont datées de 1946. Tout au long de la première période (1945), le nom du destinataire n’est pas directement donné. En en-tête des lettres, les formules varient. Tantôt redondantes, tantôt cumulatives, elles créent un effet de surprise, d’inattendu : Très cher/Bien aimé !/Mon chéri, toi, /Chéri (2 fois)/Chéri, chéri/Chéri, mon bien aimé/Mon unique ami/Mon ami, mon maître/Lointain ami. Certaines ne comportent aucune adresse. Seules les deux dernières lettres - qui appartiennent à la seconde période du recueil - sont adressées à Felician : « Felician ! » « Mon Felician ! » Felician dont nous ne saurons rien. Felician qui n’existe qu’en creux et n’est présent que par l’absence. Felician que l’épistolière interroge pourtant: « Pourquoi es-tu si loin ? Où es-tu, où restes-tu… ». Felician qui échappe jusque dans sa présence même : « J’ai du mal à penser que tu es ici ». Peut-être alors, ne faut-il voir en Felician qu’un destinataire fictif. Qui guiderait l’esprit vers l’écriture. Et derrière ce destinataire fictif, ne retenir que l’« idée ». Un absolu de la félicité. À qui adresser son hymne à la nature, à l’amour et au divin. Et en contrepoint à ces offrandes à Felician, derrière la quête de l’amour, lire la reconquête d’Ingeborg à elle-même. Une quête de tout l’être, habité par une ténébreuse mélancolie, déchiré par des antagonismes profonds : « Je suis tout à la fois énigmatique et transparente. Je suis aussi bonne que mauvaise ». Ou irréconciliables : « Je te vois et suis dans le royaume des plus amères béatitudes ». Un être traversé d’incertitudes et de doutes. Ainsi s’ouvre la première lettre, par cette phrase qui donne le ton : « Si maintenant j’avais une âme, je devrais la chercher dans la nuit obscure ». Ou encore avec cette autre, qui sert d’ouverture à la seconde lettre : « Si je n’avais rien à faire à longueur de temps, hormis être seule avec moi-même, c’est alors, enfin, que je serais infinie. » Pour parvenir jusqu’au seuil de cet infini, il faut arracher enfin le voile. Mais de quel « voile » le « je » souffre-t-il d’être masqué ? Quel est ce « dernier voile » que la scriptrice se dit prête, peut-être, à retirer ? Voile énigmatique qui se soulève comme un aveu. La soif de vérité rejoint le désir de l’écriture, passe par la recherche toujours insatisfaite de l’art. Défini comme une « rude maîtresse », l’art malmène le « je », pris en étau dans son questionnement : « Dois-je persévérer en toute humilité ou puis-je abandonner ma rude étoile et me dresser à la face de Dieu ? » À quoi Ingeborg répond : « Sombres et rouge sang sont mes désirs ! Je dois agir. » Puis, le silence ! Angèle Paoli D.R. Texte angèlepaoli |
■ Ingeborg Bachmann sur Terres de femmes ▼ → Schatten Rosen Schatten (poème extrait d’Invocation de la Grande Ourse) → 20 juillet 1945 | Ingeborg Bachmann : lettre à Felician → 17 octobre 1973 | Mort d’Ingeborg Bachmann |
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Il t'écrira, un soir,
il s'installera à la lueur du clair du lune et sur les feuilles des platanes, en pensant à toi, il t'écrira,
il t'écrira toutes les lettres de lumière qu'il voit dans son esprit ou dans le ciel,
il t'écrira à lueur du clair de lune, et l'espoir et l'amour, l'amour qu'il lit dans les feuilles des platanes il te le fera découvrir, l'amour qu'il dessine sur les feuilles quand elles tombent en fin d'été, et qui recouvriront le sol, il dessinera l'amour pour toi sur les feuilles que l'on croit mortes.
Il te dira tout ce que tu ne veux pas entendre mais qui se gravera dans ton coeur. il te dira tout ce que tu veux entendre et qui te donnera des ailes pour le rejoindre.
clem
Rédigé par : clem | 21 juillet 2006 à 00:13
La revue Europe a publié un numéro consacré à Ingeborg Bachmann, il s'agit du numéro 892-893, août-septembre 2003, dirigé par Françoise Rétif, et auquel ont participé entre autres Hélène Cixous, Elfriede Jelinek, Christine Koschel...
Cet ouvrage a été très bien accueilli dans les milieux germanistes et universitaires.
Sije
Rédigé par : Jeanne-Simone Saint Pol | 21 juillet 2006 à 14:27
Mille et un mercis, Jeanne-Simone Saint Pol, pour le rappel de cette information que j'avais notamment relevée, en effet, dans Poezibao, en janvier 2005. J'avais même répondu dans les termes suivants :
Dans son ouvrage Professeurs de désespoir, Nancy Huston fait allusion à la poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann, l’un des rares écrivains féminins qui trouve grâce aux yeux de Thomas Bernhard. Elle est même une exception. Dont Bernhard s’inspirera pour créer le personnage de Maria dans son roman Extinction: « Depuis que je suis à Rome, j’ai régulièrement rencontré Maria, la seule femme avec qui j’aie vraiment entretenu des relations, chez qui j’ai éprouvé le besoin d’aller toutes les semaines pendant tout ce temps, tu vas chez l’intelligente, ai-je pensé chez l’imaginative, chez la grande, car je n’ai jamais douté que ce qu’elle écrit est grand, a toujours été encore plus grand que tout ce qu’ont écrit toutes les autres poétesses ».
Et Nancy Huston de commenter: « Pourquoi Bernhard admire-t-il tant la « Bachmann » ? Parce qu’elle lui ressemble. Fille d’un nazi militant de Klagenfurt, ravagée par l’ambivalence, elle a fait le même choix que lui : prendre tous les risques, aller partout, dénoncer les veuleries de l’Autriche, vivre sur le fil du rasoir. Quand Bachmann meurt en 1973, brûlée vive dans son lit à l’âge de quarante-sept ans, l’interprétation de Bernhard est toute prête : « ceux qui croient au suicide de la poétesse répètent sur tous les tons qu’elle s’est brisée sur elle-même, alors qu’en réalité, elle ne s’est bien entendue brisée que sur le monde qui l’entourait, et, au fond, sur l’odieuse bassesse de sa patrie, qui à l’étranger aussi, la persécutait pas à pas, comme tant d’autres. »
Nancy Huston, Professeurs de Ténèbres, Actes Sud, 2004, pp. 197-198.
Autre extrait du roman de Bernhard: « Toute la soirée de la veille… je m’étais occupé de Schopenhauer et des poèmes de Maria, j’avais établi un rapport entre eux, à savoir des idées de Schopenhauer et celles de Maria, essayé de construire un véritable rapport philosophique entre les deux dispositions d’esprit, entre les poèmes de Maria et les durs travaux philosophiques de Schopenhauer, sans cesser de subordonner les uns aux autres, de mettre en parallèle ceux–ci et ceux–là, et tenté de dégager ce qu’il y a de philosophique dans les poèmes de Maria, de même ce qu’il y a de poétique ou, mieux, la poésie dans l’œuvre de Schopenhauer .. »
Thomas Bernhard, Un effondrement, Extinction, Gallimard, Collection « Du monde Entier », 1990, pp. 142-143.
Amicizia,
Angèle
Rédigé par : Angèle Paoli | 21 juillet 2006 à 17:30
Une intéressante video de Françoise Rétif, très sombre, torturée, à propos de Bachmann, - son sujet de prédilection, sur Monumenta 2007, et signalée par Poezibao...
Les habitués le savent déjà, mais pour les autres !
Ceux qui ne partent pas en... vacance.
A JAMAIS VERS LA JOIE !
Rédigé par : Serge Venturini | 26 mai 2007 à 15:29