Le 4 juillet 1969, le festival des Deux Mondes de Spoleto s’ouvre sur une mise en scène « révolutionnaire » du Roland furieux (Orlando Furioso) de Ludovico Ariosto.
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UNE MACHINE SCÉNOGRAPHIQUE TOTALE
Donné à l’église San Niccolò, le poème de l’Arioste est mis en scène par Luca Ronconi (né le 8 mars 1933 à Sousse en Tunisie et mort le 21 février 2015 à Milan), dans une adaptation théâtrale d’Edoardo Sanguineti. Un Orlando qui fait un triomphe et continue à faire couler beaucoup d’encre. Il constitue l’un des jalons les plus significatifs dans l'histoire de la dramaturgie contemporaine. Cette immense machine scénique sera reprise en mai 1970, à Paris, au Pavillon Baltard *, et contribuera à la découverte de Luca Ronconi par le public français.
« Des cavaliers fous chevauchant licornes et hippogriffes fendant la foule, des chariots roulés à bras d'hommes installant trois, six aires de jeu simultanées avant d'entraîner le public dans un labyrinthe grillagé, tel était Orlando Furioso d'après l'Arioste, première apparition de Luca Ronconi en France. » (Encyclopaedia Universalis, article Luca Ronconi).
UN PROTOTYPE EXPÉRIMENTAL SANS ÉPIGONES
Presque quarante ans plus tard, en mai 2006, le spectacle de Ronconi/Sanguineti a occupé à nouveau le devant de la scène. Les deux créateurs de cette gigantesque machine se sont en effet retrouvés à Pise le 8 mai 2006, pour fêter la publication, aux Éditions ETS, d’un ouvrage qui reconstitue la genèse et l’historique de ce spectacle (ouvrage coordonné par Claudio Longhi).
À cette occasion, Simona Maggiorelli a réalisé le 7 mai 2006 pour le quotidien La Nazione une interview d’Edoardo Sanguineti. Dont je retranscris ci-après un court extrait :
• Edoardo Sanguineti, quelle a été la nouveauté et la force de ce Roland furieux qui a eu un tel retentissement en Europe ?
E. Sanguineti : Le Roland furieux a constitué avant tout un changement radical dans la conception de l’espace théâtral. Il y avait déjà eu, précédemment, des tentatives de renouvellement du théâtre italien. Mais elles n’avaient pas réellement abouti. Le Roland furieux a aboli la traditionnelle frontière entre acteurs et public, transformant le spectacle en une énorme fête collective, et le lieu de spectacle en un lieu de communauté festive. Avec une redistribution des rôles acteurs/spectateurs absolument unique.
• Il y a eu aussi un mélange de distanciation et de parodie ** ?
E.S. : Oui. Jusqu’alors, distanciation brechtienne et parodie étaient considérées comme antithétiques. Pour la première fois, avec Le Roland furieux, on est parvenu à un théâtre qui, à travers le détachement, fait réfléchir et qui, dans le même temps, avec son côté fête populaire et liturgie païenne, est une invitation à une participation totale, réservée jusqu’alors aux seuls drames de Artaud, avec son Théâtre de la cruauté.
• Une transposition en fête populaire portée aussi par la musicalité et par l’ironie des huitains de l’Arioste ?
E.S. : Le choix de L’Arioste n’est pas un fait du hasard. Ses huitains sont un héritage de l’art des troubadours. Une forme poétique dont il subsiste encore des traces en Toscane et dont la tradition remonte, selon toute probabilité, à Boccace. Le perfide Arioste en fit un usage désacralisant pour raconter comment la culture chevaleresque, le langage de cour étaient désormais dépassés et étaient à la racine de la folie d’Orlando. Arioste chante la fin des temps chevaleresques. Il est un peu le Cervantès italien.
• Est-ce que vous voyez émerger aujourd’hui, sur la scène italienne, des signes de révolution et de dissidence ?
E.S. : Il y a de nombreux spectacles que j’ai vraiment beaucoup aimés mais, à mon sens, il n’y a plus eu de projets réellement innovants. Du reste, Le Roland furieux n’a été qu’un prototype expérimental sans épigones *** […].
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* Le pavillon Baltard, après avoir été démonté, a été réinstallé à Nogent-sur-Marne ;
** « Le ludisme de […] Ronconi [a] imposé un renouvellement formel de ce qui est donné à voir au spectateur (mise en scène) mais aussi de la manière générale d'envisager le théâtre. Lorsque Ronconi détourne L'Orlando Furioso, ce monument de la culture italienne, en mai 1970 [Baltard], les destriers sur lesquels sont juchés les chevaliers ne sont que des chariots à roulettes poussés par des machinistes qui les font circuler à travers le public. Chaque élément du décor : un dragon, une chimère, affiche à travers filins poulies ou squelettes de bois sa propre facticité et l'intègre comme élément dynamique. Pris au centre de ce tourbillon le public devient partie prenante du spectacle et se fond dans les lieux de l'action : tantôt mer, tantôt champ de bataille ou labyrinthe. Cet esprit de dérision, cette parodie si furieusement avouée restaurent le plaisir du jeu au théâtre » (Elisabeth Surace; Source) ;
*** Edoardo Sanguineti semble ne pas se souvenir de 1789 d'Ariane Mnouchkine, qui a toujours situé son spectacle dans la lignée de L'Orlando Furioso de Ronconi. 1789 a été créé au Piccolo Teatro de Milan le 12 novembre 1970 (décors de Roberto Moscoso, costumes de Françoise Tournafond), avant de faire son entrée le 26 décembre 1970 à la Cartoucherie de Vincennes, inaugurée à cette occasion comme lieu de théâtre.
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et comme public la parenté entre les deux spectacles me semble évidente. Effet de l'éloignement dans le temps ?
Rédigé par : brigetoun | 05 juillet 2006 à 21:12
J'ai vu ce spectacle aux halles de Baltard et cela a été un de mes plus beaux souvenirs de mise en scène que je n'oublierai jamais.
Rédigé par : Gerald MENAGER | 19 mars 2013 à 01:06