Mort à Ermenonville, le
2 juillet 1778, de
Jean-Jacques Rousseau.
Image, G.AdC
C’est au « Chalet » d’Ermenonville (demeure que le marquis de Girardin, grand admirateur de Jean-Jacques Rousseau, a fait construire pour le philosophe), que l’auteur du Devin du village et de La Nouvelle Héloïse est retrouvé mort un soir d’été, au retour d’une promenade dans la campagne d’Ermenonville. Mort d’une mort mystérieuse, selon le marquis de Girardin. Installé sur les terres de la seigneurie d’Ermenonville depuis le 20 mai 1778, l’hôte du marquis partageait son temps entre ses passions de promeneur solitaire et d’herboriste, de compositeur et d’écrivain.
Le 4 juillet 1778, le cercueil du défunt philosophe est acheminé vers la toute petite île des Peupliers. Dont Jean-Jacques avait un jour confessé au marquis qu’elle était le séjour convoité pour sa sépulture. L’inhumation a lieu à minuit, sous les lueurs de la presque pleine lune. Les paysans, munis de torches et de flambeaux, se sont rassemblés sur les berges du lac et les collines alentour. La nacelle glisse jusqu’à l’île, accompagnée de deux autres barques. Une douce musique, jointe aux coassements des grenouilles, au bruit régulier des rames et au vol des courlis surpris dans leur sommeil, interrompt le silence de la nuit.
Autour du cercueil, le marquis de Girardin et son fils, Thérèse Levasseur, épouse de Jean-Jacques, Mme Levasseur mère, le docteur Le Bègue, qui s'est chargé de l’autopsie du cadavre, Monsieur Ducis, auteur de tragédies et ami du philosophe. Le baron Grimm, enfin, grande figure des Lumières. Le cercueil enseveli, les barques rebroussent chemin ; l’île des Peupliers retrouve les voix de la nature ; le marquis de Girardin reste seul à veiller son ami.
Monsieur de Girardin a recueilli les manuscrits de Jean-Jacques Rousseau, dont le manuscrit, dit de Paris, des Confessions.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
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EXTRAIT DES CONFESSIONS
I.1. Après deux ans de silence et de patience, malgré mes résolutions, je reprends la plume. Lecteur, suspendez votre jugement sur les raisons qui m’y forcent. Vous n’en pouvez juger qu’après m’avoir lu.
2. On a vu s’écouler ma paisible jeunesse dans une vie égale, assez douce, sans de grandes traverses ni de grandes prospérités. Cette médiocrité fut en grande partie l’ouvrage de mon naturel ardent, mais faible, moins prompt encore à entreprendre que facile à décourager; sortant du repos par secousses, mais y rentrant par lassitude et par goût, et qui, me ramenant toujours, loin des grandes vertus et plus loin des grands vices, à la vie oiseuse et tranquille pour laquelle je me sentais né, ne m’a jamais permis d’aller à rien de grand, soit en bien, soit en mal.
3. Quel tableau différent j’aurai bientôt à développer ! Le sort, qui durant trente ans favorisa mes penchants, les contraria pendant les trente autres, et, de cette opposition continuelle entre ma situation et mes inclinaisons, on verra naître des fautes énormes, des malheurs inouïs, et toutes les vertus, excepté la force, qui peuvent honorer l’adversité.
4. Ma première partie a été écrite de mémoire et j’y ai dû faire beaucoup d’erreurs. Forcé d’écrire la seconde de mémoire aussi, j’y en ferai probablement beaucoup davantage. Les doux souvenirs de mes beaux ans passés avec autant de tranquillité que d’innocence, m’ont laissé mille impressions charmantes que j’aime sans cesse à me rappeler. On verra bientôt combien sont différents ceux du reste de ma vie. Les rappeler, c’est en renouveler l’amertume. Loin d’aigrir celle de ma situation par ces tristes retours, je les écarte autant qu’il m’est possible, et souvent j’y réussis au point de ne les pouvoir plus retrouver au besoin. Cette facilité d’oublier les maux est une consolation que le ciel m’a ménagée dans ceux que le sort devait un jour accumuler sur moi. Ma mémoire, qui me retrace uniquement les objets agréables, est l’heureux contrepoids de mon imagination effarouchée, qui ne me fait prévoir que de cruels avenirs.
5. Tous les papiers que j’avais rassemblés pour suppléer à ma mémoire et me guider dans cette entreprise, passés en d’autres mains, ne rentreront plus dans les miennes. Je n’ai qu’un guide fidèle sur lequel je puisse compter, c’est la chaîne des sentiments qui ont marqué la succession de mon être, et par eux celle des événements qui en ont été la cause ou l’effet. J’oublie aisément mes malheurs; mais je ne puis oublier mes fautes, et j’oublie encore moins mes bons sentiments. Leur souvenir m’est trop cher pour s’effacer à jamais de mon cœur. Je puis faire des omissions dans les faits, des transpositions, des erreurs de dates; mais je ne puis me tromper sur ce que j’ai senti, ni sur ce que mes sentiments m’ont fait faire ; et voilà de quoi principalement il s’agit. L’objet propre de mes confessions est de faire connaître exactement mon intérieur dans toutes les situations de ma vie. C’est l’histoire de mon âme que j’ai promise, et pour l’écrire fidèlement je n’ai pas besoin d’autres mémoires; il me suffit, comme j’ai fait jusqu’ici, de rentrer au-dedans de moi. »
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, Livre Septième, GF-Flammarion, 1968, pp. 19-20.
Angèle, je viens d'étudier le préambule des Confessions, jean-jacques y est plus orgueilleux dans la forme mais la difficulté reste la même sur le fond: les pièges de la mémoire, la sincérité du souvenir, qu'importe si la sincérité du sentiment est vraie, l'âme est atteinte.
Dans l'autobiographie, que faisons-nous d'autre que l'histoire d'une âme?
S
Rédigé par : sylvie fabre g | 02 juillet 2006 à 23:22
Je retrouve bien dans cet extrait ce que j'avais tant aimé dans l'étude du travail de J.-J. Rousseau : simplicité apparente dans le choix des mots, chaleur du ton, sincérité dans la confidence, complicité avec le lecteur. Souvenirs presque intacts. Merci.
Rédigé par : Pascale | 03 juillet 2006 à 09:55