20 juillet 1945/Ingeborg Bachmann : lettre à Felician
Chéri, bien-aimé,
Rêvasserie du soir. Je voudrais effeuiller les jours - les jours révolus et les jours à venir - et m’en aller vers ton cœur au son d’une mélodie. Douce, elle te serait si douce que tu deviendrais grand et riche, que tu devrais tendre les bras rien que pour tout embrasser.
Divin est l’excès. La musique est hors de portée. Tout autour s’élèvent des voix pour aider à oublier les bruits de fond du jour et à tenir sa tête entre ses mains… que tu puisses écouter, bienveillant, le regard absent ou plongé tout à la fois en toi et dans le ciel.
Le sang se met à couler en toi, en sorte que les soupirs reposent sur tes lèvres et qu’un souffle d’air les emporte, le supplice se déliera pour devenir plus suppliciant encore, le plaisir écumera et fleurira en un débordement de plaisir. Mais au fond de toi le bonheur t’opprimera, le bonheur de tout cela, de toi, de Dieu et moi, de la terre et des vastes cieux, ton cœur s’envole en flammes que tu ne peux étouffer.
Merci, merci !
« Le monde ne connaît d’autres joies pareilles ! »
Ingeborg Bachmann, Lettres à Felician [Briefe an Felician, 1991], Actes Sud, 2006, pp. 73-74. Traduit de l’allemand et préfacé par Pierre-Emmanuel Dauzat.
Voir aussi : - (sur Terres de femmes) Ingeborg Bachmann/Sombres et rouge sang sont mes désirs (article sur les Lettres à Felician) ; - (sur Poezibao) une notice bio-bibliographique sur Ingeborg Bachmann. |
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