Le
14 juillet 1900,
Joseph Conrad achève l'écriture du manuscrit de son roman
Lord Jim.
Source
Écrivain anglais d’origine polonaise, Joseph Conrad (Jozef Konrad Korzeniowski, 1857-1954) s’engage très jeune dans la marine. En 1894, troquant sa tenue d’officier pour le mariage et la littérature, il se lance dans l’écriture romanesque.
Inspirée par son expérience d’aventurier et son observation des hommes de la mer, l'œuvre de Joseph Conrad, souvent considérée comme exotique, lui vaut d’être assimilée à celle de Rudyard Kipling. Conrad est pourtant aux antipodes de l’auteur du Livre de la jungle. Dénonçant les dégâts du colonialisme, Conrad s’en prend aux passions des hommes. Ainsi de lord Jim, qui, hanté par la trahison, déserte son bateau et passe sa vie à expier. Ou à trahir de nouveau. Jusqu’à périr, puni par d’autres hommes.
Les héros de Joseph Conrad, marqués par la conscience malheureuse de leur époque, inspireront des auteurs aussi différents que Marcel Proust, William Faulkner ou Albert Camus.
EXTRAIT de LORD JIM
Il commençait à faire nuit. Des torches brillaient çà et là. Les gens que Jim croisait, paraissaient frappés d’épouvante, et s’effaçaient vivement pour le laisser passer. Les gémissements des femmes descendaient sur la pente. La cour était pleine de Bugis en armes avec leurs serviteurs, et d’habitants de la ville.
« Je ne sais à quel but répondait réellement une telle assemblée. Étaient-ce préparatifs de guerre ou de vengeance, ou dispositions prises pour repousser une invasion menaçante ? Bien des jours passèrent sur le pays avant que les gens cessassent de rester sur le qui-vive, tremblant et guettant le retour des blancs aux longues barbes et aux vêtements en loques, dont les relations exactes avec leur seigneur blanc demeurèrent toujours mystérieuses à leurs yeux. Même pour ces esprits simples, le pauvre Jim reste dans l’ombre d’un nuage.
« Seul, immense, désolé, ses deux pistolets de pierre sur les genoux, Doramin était assis dans son fauteuil, en face de la morne assemblée. Quand Jim parut, des exclamations retentirent ; toutes les têtes se tournèrent d’un seul coup; la foule s’ouvrit à droite et à gauche, et il s’avança le long d’un chemin de regards détournés. Des murmures, de chuchotements l’accompagnaient: - « C’est lui qui a tramé tout le mal… » - « Il possède un charme… » Il entendait… peut-être !
Quand il parut dans le cercle de lumière des torches, les lamentations des femmes cessèrent subitement. Doramin ne leva pas la tête, et Jim resta un instant silencieux devant lui. Puis, regardant à sa gauche, il marcha de ce côté, à pas mesuré . La mère de Dain Waris était prosternée à la tête du cadavre, et ses cheveux gris épars couvraient son visage. Jim s’avança lentement, regarda le corps de son ami, en soulevant le linceul, puis le laissa retomber, sans un mot. Il revint doucement vers Doramin.
- « Il est venu ! Il est venu ! » ce murmure qui courait sur les lèvres des assistants accompagnait ses pas. - « Il a tout pris sur sa tête ! » lança une voix très haute. Jim entendit ces mots et se retourna vers la foule. - « Oui, sur ma tête ! » Quelques uns des hommes reculèrent. Jim attendit un instant devant Doramin, puis dit doucement : - « Je suis venu tout prêt et sans armes », reprit-il… »
Joseph Conrad, Lord Jim, Éditions Gallimard, 1979, pp. 355-356. Traduction de Philippe Neel.
:-) sto leggendo a ritroso
Rédigé par : paolo | 14 juillet 2006 à 07:55
Une lecture qui ne peut s'oublier. Pourquoi ? Il y a ce long procès pour désertion et lâcheté, d'abord. Puis cette longue dépense dans une vie de courage. Lâcheté surprise en soi-même, irréversible, dans l'instant : "sauver sa peau". Et une source inépuisable de courage dans le même être, dans la durée. Et puis une écriture, une construction, une intelligence du récit qui rend le lecteur intelligent. J.-M.
Rédigé par : Jean-Marie | 14 juillet 2006 à 23:58
Merci, Jean-Marie, de ce très beau commentaire, tout en finesse, comme vous savez le faire. Et qui va bien au-delà de simples réminiscences de lectures lointaines.
Rédigé par : Angèle | 20 juillet 2006 à 20:32