Pablo Picasso
Guernica
Huile sur toile
349 x 776 cm
Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, Madrid
Le 13 juillet 1937 1, à l’occasion de l’ouverture au public du Pavillon espagnol (inauguré la veille), de l’Exposition internationale des Arts et Techniques, ouverte le 24 mai 1937, esplanade du Trocadéro à Paris, est exposée pour la première fois la toile Guernica de Picasso.
Au lendemain du bombardement aérien, le 26 avril 1937, par quarante-trois appareils de l'aviation allemande, de la ville de Guernica (Biscaye), Picasso peint Guernica, l’œuvre la plus dramatique de sa carrière. En écho à la tragédie vécue par la petite ville basque, victime de la répression franquiste et de la coalition entre Franco et Hitler, allié du général durant la guerre civile d’Espagne. Un acte de barbarie qui signe l’entrée en scène, dans l’Histoire contemporaine, des massacres de populations civiles. Exécutée entre le 1er mai et le 6 juillet 1937, l’œuvre de Picasso résonne comme un cri partagé entre dénonciation violente de la barbarie et espoir :
« J'ai toujours cru et crois que les artistes qui vivent et travaillent selon des valeurs spirituelles ne peuvent et ne doivent pas demeurer indifférents au conflit dans lequel les plus hautes valeurs de l'humanité et de la civilisation sont en jeu. »
Mais ne voir dans Guernica que l’interprétation historique ne revient-il pas à cantonner cette œuvre, probablement cryptée, dans un espace temporel limité qui en appauvrit le sens ?
N’y a-t-il pas une étrange coïncidence dans le fait que Picasso réalise cette immense toile (près de 8m de long sur 3m50 de large) dans l’atelier (le grenier d'un ancien couvent) du 7, rue des Grands-Augustins, que lui a trouvé la photographe Dora Maar. Dans le même immeuble que celui où, Balzac, le siècle précédent, rédigeait Le Chef-d’œuvre inconnu (publié en 1832) ! Dont le récit met en scène l’atelier d’un peintre (Porbus) chez qui se rencontrent un jeune artiste débutant, encore inconnu (Nicolas Poussin) et le vieux maître reconnu (Frenhofer). Tous deux fascinés par l’alchimie secrète qui lie le créateur à son œuvre, admirent et interrogent l’œuvre inaboutie qu’ils ont sous les yeux (une Marie l’Égyptienne qui se dérobe sous le pinceau de l’artiste !). Étrange mise en abyme que celle qui tisse son réseau de liens invisibles entre un peintre de la modernité et un écrivain du XIXe siècle !
Longtemps restée en exil, en France d’abord, dans l’atelier où elle a été conçue, puis au MoMA (Musée d’Art moderne) de New York, la toile de Picasso, symbole de la résistance au franquisme, n’a fait son entrée en Espagne qu’en 1981. Elle est actuellement conservée à Madrid, au Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía, après avoir été provisoirement transférée dans une annexe du Prado.
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli
Dora Maar, Picasso peignant Guernica
atelier du 7, rue des Grands-Augustins, mai 1937
épreuve gélatino-argentique, 24 x 17,8 cm
Paris, musée Picasso, Archives Picasso, MP 1998-200
Source
LA VICTOIRE DE GUERNICA
I
Beau monde des masures
De la nuit et des champs
II
Visages bons au feu visages bons au fond
Aux refus à la nuit aux injures aux coups
III
Visages bons à tout
Voici le vide qui vous fixe
Votre mort va servir d'exemple
IV
La mort coeur renversé
V
Ils vous ont fait payer la pain
Le ciel la terre l'eau le sommeil
Et la misère
De votre vie
VI
Ils disaient désirer la bonne intelligence
Ils rationnaient les forts jugeaient les fous
Faisaient l'aumône partageaient un sou en deux
Ils saluaient les cadavres
Ils s'accablaient de politesses
VII
Ils persévèrent ils exagèrent ils ne sont pas de notre monde
VIII
Les femmes les enfants ont le même trésor
De feuilles vertes de printemps et de lait pur
Et de durée
Dans leurs yeux purs
IX
Les femmes les enfants ont le même trésor
Dans les yeux
Les hommes le défendent comme ils peuvent
X
Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges
Dans les yeux
Chacun montre son sang
XI
La peur et le courage de vivre et de mourir
La mort si difficile et si facile
XII
Hommes pour qui ce trésor fut chanté
Hommes pour qui ce trésor fut gâché
XIII
Hommes réels pour qui le désespoir
Alimente le feu dévorant de l'espoir
Ouvrons ensemble le dernier bourgeon de l'avenir
XIV
Parias la mort la terre et la hideur
De nos ennemis ont la couleur
Monotone de notre nuit
Nous en aurons raison.
Paul Éluard, La Victoire de Guernica, Cours naturel [1938], Œuvres complètes, I, Bibliothèque de la Pléiade, pp. 812-813.
______________________________
1 Source : Catalogue Anne Baldassari (directrice du Musée Picasso) Picasso | Dora Maar, Il faisait tellement noir, Flammarion/RMN, 2006, page 167.
En lisant le poème d'Eluard, je me disais qu'il était très difficile d'appréhender quels peuvent être les effets d'onde et de résonance d'un poème ou d'une œuvre d'art (outre leur valeur de témoignage, comme celui - stupéfiant - du reportage photographique que fit Dora Maar sur Guernica, et que l'on a pu voir jusqu'au 22 mai 2006 au Musée Picasso). Il y a à mon sens un travail souterrain qui diffuse peu à peu dans l'inconscient collectif. On en a pour preuve que ce poème (publié dans un premier temps en 1937 dans les Cahiers d'art où la toile a d'ailleurs reçu pour la première fois son titre définitif de Guernica. Pour les Cahiers d'art, cf. Terres de femmes, Mirό, Etreintes, 21 mai 2005), ce poème donc a servi de thème pour le film Guernica, réalisé en 1950 par Alain Resnais et Robert Hessens. Le texte d'Eluard étant dit par Maria Casarès. Par ailleurs ce poème a aussi été mis pour partie en musique par Georges Auric.
Rédigé par : Yves | 13 juillet 2006 à 12:05
"El artista es, al mismo tiempo, un ser politico que vive pendiente y consciente de otdos los acontecimientos- desoladores, de actualidad o placenteros- que occurren en el mundo y reacciona ante ellos... No, la pintura no existe solo para decorar las paredes de las casas. Es un arma que sirve para atacar al enemigo y para defenderse contra él."
Pablo Picasso
" Bien au contraire, il [l'artiste] est en même temps un être politique, constamment en éveil devant les déchirants, ardents ou doux événements du monde, se façonnant de toute pièce à leur image... Non, la peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument de guerre offensive et défensive contre l'ennemi."
Rédigé par : Pascale | 10 août 2006 à 20:38
Il y a même un travail souterrain dans notre inconscient individuel, en écho à toute oeuvre qui touche certains non-dits en nous...........
Merci, Yves, pour cet éclairage........bises.
Rédigé par : Martine | 13 juillet 2012 à 15:29