Le 10 juillet 1871 naît à Auteuil Marcel Proust, fils de Jeanne Weil et d’Adrien Proust.
Robert et Marcel (à droite) Proust
Source Ph. : site Gabriella Alù
PREMIER EXTRAIT
Jean-Yves Tadié, Marcel Proust, Biographie
Enfance
« On sait bien peu de choses de l’enfance de Marcel Proust, dès que l’on cesse d’utiliser Jean Santeuil et Du côté de chez Swann, puis À l’ombre des jeunes filles en fleurs. Nous ne disposons, en effet, ni d’autobiographie comme ces livres aimés de Proust, Le Livre de mon ami, Le Roman d’un enfant, Le Petit Chose (où il ne faut pas sous-estimer la part de fiction), ni de documents familiaux. Des années entières se sont ainsi écoulées avant que la correspondance ne comble le vide. Marcel est donc né le 10 juillet 1871 à Auteuil. Il a été baptisé le 5 août de la même année ; son parrain s’appelle Eugène Mutiaux, 66 rue d’Hauteville, sa marraine, Hélène-Louise Houette, 39 boulevard Malesherbes. Un soir de solitude, en juillet 1916, Proust, ouvrant les tiroirs d’un petit salon où il ne venait jamais, parmi des décorations de son père, des carnets de visite, la liste des gens ayant envoyé des fleurs à son enterrement, retrouvera son certificat de baptême et de première communion à Saint-Louis-d’Antin.
Un événement se produit, lorsque Marcel a deux ans, dont les conséquences sont inappréciables et ont, en effet, été appréciées très différemment : la naissance de son frère Robert, le 24 mai 1873 à Auteuil (Robert Sigismond Léon).
On a voulu voir, par des suppositions et sans preuve, dans la naissance de Robert un traumatisme infligé à son frère, dont la jalousie aurait été ainsi excitée, d’autant plus dangereusement qu’elle était inconsciente (consciente, en effet, nous en aurions eu des preuves). Or, les deux frères ont été élevés de la même façon, habillés de la même manière, comme le montrent les photos familiales successives conformes à la mode du temps, en robe (1876), en jupe écossaise, en leggins et lavallière, en redingote de chaque côté de leur mère (vers 1896). La ressemblance physique frappe d’autant plus qu’ils sont plus jeunes : mêmes yeux admirables, même front, même nez (celui de Marcel portera la trace de sa cassure). Le visage de Robert est à peine plus lourd, plus large. À partir de l’adolescence, les divergences s’accentuent, l’un plus vigoureux, sportif, massif, l’autre frêle et comme évanescent. Marcel Proust a évoqué son frère deux fois, dans un article sur un concert (« Un dimanche ») et, en 1908, dans l’essai romanesque qui précède Contre Sainte-Beuve, et dont le manuscrit est aujourd’hui perdu ,: « On lui avait frisé les cheveux comme aux enfants de concierge quand on les photographie, sa grosse figure était entourée d’un casque de cheveux noirs bouffants avec des grands nœuds plantés comme les papillons d’une infante de Vélasquez ; je l’avais regardé avec le sourire d’un enfant plus âgé pour un frère qu’il aime, sourire où l’on ne sait pas trop s’il y a plus d’admiration, de supériorité ironique ou de tendresse. » Robert, encore en robe, a donc moins de sept ans, « cinq ans et demi »; il fait preuve de la même sensibilité que Marcel face aux séparations (ici, c’est son chevreau qu’il quitte), mais avec une violence extérieure, il passe de l’attendrissement à la colère ou à une jalousie que tous les enfants ont connue : « Marcel a eu plus de crème au chocolat que moi. » On retiendra que Marcel, s’il regarde son frère avec la supériorité de l’aîné, lui montre à la fois admiration et tendresse. Enfants, les deux frères ont les mêmes lectures. Adolescent, Robert lit les lettres de Marcel, autant que sa mère, qui rapporte à celui-ci, au service militaire, les menus faits et gestes de son frère et ses activités scolaires […]
Leur grand-mère témoigne, d’autre part, en 1887, de leur « entente parfaite ». L’aîné fait à sa mère l’éloge du cadet : « Dick est vraiment une perle morale autant que physique et intellectuelle. » On comprend que Marcel ait pu dédicacer Les Plaisirs et les Jours à Robert en citant Corneille : « Ô frère plus chéri que la clarté du jour. »
Jean-Yves Tadié, Marcel Proust I, Biographie, Éditions Gallimard, Collection Folio, 1996, pp. 85 à 88.
Marcel Proust enfant
Ph. D.R.
DEUXIÈME EXTRAIT
Pietro Citati, La Colombe poignardée
Le bonheur
« Peu d’êtres humains ont désiré le bonheur avec la véhémence, la douceur, l’ivresse fiévreuse de Marcel Proust adolescent. Seul peut-être le jeune Tolstoï, auquel le liaient de singulières affinités et ressemblances, rechercha le bonheur avec la même ferveur douloureuse et irrépressible : il voulait que la vie demeurât elle-même, rien de plus qu’un fragment de temps - et cependant franchît d’un bond une limite, devant un mystérieux au-delà, une épiphanie de l’invisible et de l’outre-temps. Le jeune Proust fut heureux, ou du moins il le dit, le raconta, l’imagina en lui-même. Il était heureux parce qu’un rayon de soleil brillait, parce qu’il respirait le parfum d’une fleur, parce qu’il aimait un jeune homme ou une jeune fille, parce qu’il aimait sa mère, parce qu’il lisait un beau livre, parce qu’il découvrait les grandes lois de l’existence - et par-dessus tout parce que « les choses sont si belles d’être ce qu’elles sont, et l’existence est une si calme beauté répandue autour d’elle ! »
Qu’était-ce que le bonheur ? Rien d’autre que cette ivresse, cette joie, cette euphorie qui animait ses membres juvéniles ? Bien des années plus tard, alors qu’il allait commencer la Recherche, il découvrit qu’il était avant tout lumière et musique : « Le bonheur n’est qu’une certaine sonorité des cordes qui vibrent à la moindre chose et qu’un rayon fait chanter. L’homme heureux est comme la statue de Memnon : un rayon de soleil suffit à la faire chanter. » À cette époque, il avait déjà cessé d’être heureux. Il avait découvert qu’il n’avait pas la force nécessaire pour faire face au bonheur. »
Pietro Citati, La Colombe poignardée, Éditions Gallimard, Collection Folio, 1995, pp. 13-14. Traduit de l'italien par Brigitte Pérol.
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