D.R. Ph. angèlepaoli
Ce matin, à la première heure, la fleur du pavot était encore enclose dans sa gangue feuillue. La soie coq de roche de sa robe, prête à se déployer d’un moment à l’autre, affleure, plis contre plis, entre les sépales.
Paupières mi-closes, je surveille la corolle, l’air de rien. Je baisse les yeux pour écrire, puis redresse la tête à hauteur du bouton. La gangue veloutée s’est encore écartée davantage.
Un peu plus tard, sous le plein soleil de juin, la gangue feuillue s’est évasée, laissant échapper le lent déplissé des pétales. Silencieuse émergence, mystérieuse, indéchiffrable, qui ne se peut percevoir qu’en creusant l’espace entre deux instants de la floraison. Merveille de ce calice élégamment ourlé, ondulant doucement sur sa hampe élancée.
Je me penche sur la corolle pour respirer l’odeur du pavot.
Le cœur irisé de noir encre s’est absorbé dans la pupille de mon œil.
Je dis
parfum du pavot
disant cela, qu’ai-je dit au juste ?
rien
parfum
odeur, quelle ?
poivrée ? non
pimentée ?
non plus
rauque ?
pas davantage.
opiacée alors ?
peut-être
au-delà
rien d’autre
sinon l’indéfinissable odeur
d’encre noire
du pavot
Angèle Paoli
D.R. Texte angèlepaoli |
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Un poème
ouvert
tendu
comme
une
fleur
qui
jette
l'ancre
sur
une
île
...
Racines... Superbe.
Rédigé par : Viviane | 23 juin 2006 à 20:31
Présence troublante de la fleur qui envoûte. Qu'est-t-elle donc celle-là ? Fleur ?
Rédigé par : Geneviève C | 24 juin 2006 à 00:01
Viviane, Tissiane, merci à toutes deux. Oui, Tissiane, tu as sans doute raison ! Mais le poème n'est-il pas le lieu privilégié de la métaphore ? Ici, tout à fait involontaire et invisible pour moi au moment de l'écriture. Et pourtant! Le texte sème ses sens à l'insu de la main qui le rédige. Quel beau mystère!
Rédigé par : Angèle Paoli | 24 juin 2006 à 11:29
Comme quoi la beauté est en toute chose, dans le coeur velouté et la soie froissée de l'humble coquelicot, poppy anglais au joli nom...
Rédigé par : Pascale | 24 juin 2006 à 15:10
J'ai cliqué mais je n'ai pas pu voir l'image en grand : quel dommage !
J'aime beaucoup cette tentative de définir *l'odeur* de la fleur.
Rédigé par : Papotine | 25 juin 2006 à 09:48
C'est réparé, Papotine. Merci.
Rédigé par : Webmestre de TdF | 25 juin 2006 à 11:52
Est-ce en pensant
Au libre coquelicot
Ou à l’enivrant pavot
Que chaque ronde de lune
Dépose en souffrance
Ses pétales de sang
Au coeur son triangle d’or
Rédigé par : Yann | 26 juin 2006 à 12:29
Merci, Yann, de ton passage en poésie.
Je me suis aventurée un jour au large du Triangle d'or. J'ai vu la lune blonde caresser les champs de pavots. Mais j'ai vu aussi les femmes méos des tribus des montagnes, assises dans leurs maisons sur pilotis, attendant le retour des hommes partis gagner leur vie, là-bas, dans le Triangle.
Rédigé par : Angèle | 29 juin 2006 à 18:13
Le pavot travaille dans la lenteur du jour pour s'épanouir. Il est, au jardin, l'artiste du silence et de la discrétion. Pas moins que l'écrivain ne l'est à sa table. Belle métaphore et mise en abyme de la silhouette d'Angèle écrivant devant le parterre de fleurs. Et comment ne pas songer à cette photo de Colette dans une plate-bande (un champ ?, je ne sais plus) de pavots ? Merci Angèle pour ce très beau texte d'été.
Rédigé par : mercier nathalie | 30 juin 2006 à 10:17
Je suis très heureuse de ta venue sur mes Terres, Nathalie. Merci à toi, infiniment, pour cette belle célébration métaphorique, toute de sensibilité...
La photo de "Colette dans les pavots" se trouvait autrefois sur le site http://www.colette.org, mais ce site est en cours de reconstruction.
Rédigé par : Angèle | 30 juin 2006 à 12:52
Pour voir la photo de Colette dans un champ de pavots, cliquer ICI [fichier .doc]. Document transmis par Guidu.
Voir aussi ICI
Rédigé par : Webmestre de TdF | 30 juin 2006 à 22:17